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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/87

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LIII
ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

ceux dont cette métamorphose les a faits synonymes. Tel gurges, passé du sens de gouffre à celui de gouffre où s’avalent les aliments ; quiritare, qui a étendu sa signification propre d’appeler les quirites, à celle toute générale de crier ; caballus, qui ne désigne plus un cheval de fatigue, mais un cheval quelconque ; guttur, clamare, equus ont désormais cédé à leurs empiétements.

Et on pourrait citer une quantité de ces substitutions, qui ont eu pour cause première le désir toujours en éveil dans les langues populaires de donner à la pensée une forme plus vive, plus imagée, ou tout simplement nouvelle. Mais il est temps d’ajouter que ce n’est pas seulement en choisissant dans le fonds latin que la langue parlée s’était fait son vocabulaire.

Elle avait, comme c’est naturel, beaucoup créé : d’abord en altérant des mots classiques par changement de suffixe et de préfixe : annellum (anneau), pour annullum ; cosuetumen (coustume), pour consuetudinem ; barbutum (barbu), pour barbatum ; adluminare (allumer), pour illuminare. Ensuite en allongeant, par dérivation, des simples trop courts et trop peu consistants. D’où æramen (airain), pour æs ; aveolum (aïeul), pour avum ; soleculum (soleil), pour sol ; avicellum, aucellum (oisel, oiseau) pour avem ; diurnum (jour), pour dies.

En outre elle avait formé des mots entièrement nouveaux sur des primitifs anciens : abbreviare (abréger), sur brevis ; aggenuculare (agenouiller), sur ad et genuculum ; captiare (chasser), sur captus ; circare (chercher), sur circa ; corrotulare (crouler), sur cum et rotulus ; excorticare (écorcher), sur ex corticem ; companio (compagnon), sur cum et panis ; hospitaticum (otage), sur hospes ; longitanum (lointain), sur longus, etc. Tous les jargons, tous les argots de métier avaient fourni là plus ou moins : adripare venait des bateliers, carricare des voituriers, minare des pâtres, ainsi de suite. Et la nouvelle formation ne pouvait que se développer, les anciens composés ayant été décomposés, de sorte que les procédés et les éléments dont ils étaient issus restaient distincts et sensibles, très aptes par conséquent à fournir de nouveaux produits à tous les besoins[1].

  1. Ainsi le latin écrit a retinet, le latin vulgaire le décompose en reténet, en rendant au verbe la forme du simple. De la sorte reténet apparaît bien comme fait des deux éléments tenet, et re, particule, qui ajoute un sens particulier.