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LIV
INTRODUCTION

Enfin il y avait en latin vulgaire un grand nombre de mots pris aux peuples avec qui les Romains avaient été en contact. J’aurai à revenir un peu plus loin sur les emprunts faits au celtique et au germanique. Je rappelle seulement ici que la langue parlée, tout en étant beaucoup moins hellénisée que la langue écrite, n’en avait pas moins reçu quantité de mots grecs. On cite, et avec raison, ceux qui avaient pénétré par l’Église, à commencer par ce mot même d’église, et qui sont devenus en français : bible, évangile, idole, aumône, prêtre, évêque, erme (d’où ermite), paroisse, parole.

Il faut en ajouter d’autres, de toute nature, qui ne semblent jamais avoir été acceptés dans la langue latine littéraire ; ex. : bocale (fr. bocal), βαύϰαλις ; cara (fr. chère, faire bonne chère), ϰάρα ; buxida (boîte), πυξίδα ; borsa (bourse), βύρσα ; excharacium (échalas), χάραϰίον ; fanfaluca (fanfreluche), πομφόλυξ ; mustaceus (moustache), μύσταξ ; cariophyllum (girofle), καρυόφυλλον ; zelosus (jaloux), ζῆλος ; etc.[1].

Sous ces nouveautés de toute sorte le latin, dans la bouche des ignorants, se trouvait singulièrement altéré. Or bientôt il n’y eut plus que des ignorants, et alors leur langue, abandonnée à elle-même, sous l’action de la force révolutionnaire qui précipite les idiomes vers les transformations, sitôt que l’autorité grammaticale qui les contenait, de quelque manière qu’elle s’exerçât, cesse d’exister, évolua si rapidement et si profondément qu’en quelques siècles elle devint méconnaissable. Mais le chaos n’y était qu’apparent et transitoire, et sous l’influence des lois instinctives qui dirigent l’évolution du langage, l’incohérence s’organisa et ce chaos se régla de lui-même. Des langues nouvelles se dégagèrent du latin dégénéré ; au lieu d’aller vers la mort, il se retrouva transformé, rajeuni, capable d’une nouvelle et glorieuse vie, sous le nom nouveau de roman. Aussi bien le nom primitif ne lui convenait plus. Le vieux latin avait

    Supposez au contraire le mot assimilé à un simple, et ayant l’accent, comme le veut la règle, sur re : rétinet. Les transformations phonétiques en eussent fait quelque chose comme resnet, en français moderne rene, où on n’eût retrouvé ni verbe, ni particule.

  1. Une des particularités à signaler dans cet ordre d’idées est l’introduction de la préposition kata dans le vocabulaire latin, où elle entre en composition avec des mots purement latins. De là le français cadhun des serments de Strasbourg, katunum. Chascun a été influencé par quisque ; c’est une forme mixte.