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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/92

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LVIII
INTRODUCTION

spécifie qu’on peut en observer non seulement de particuliers aux individus, mais de généraux, communs à certaines nations[1]. Et saint Jérôme, généralisant plus encore, affirme que la latinité s’est modifiée suivant les lieux comme suivant le temps[2].

En ce qui concerne la Gaule, nous manquons malheureusement de textes particuliers. Un seul est explicite, c’est celui de Cicéron qu’on cite souvent[3], mais il est bien ancien ; pour les derniers siècles les allusions aux fautes que font les Celtes, si elles ne manquent pas, nous l’avons vu, sont d’interprétation incertaine et contestable. En tout cas, on ne voit aucune raison pour laquelle le latin se serait répandu et développé en Gaule dans d’autres conditions qu’ailleurs. Il y a dû avoir, je ne dis pas un latin gaulois, l’expression impliquant une fausse idée de mélange, mais un latin de la Gaule, qui différait peut-être surtout par l’accent de celui des pays voisins, mais qui avait néanmoins d’autres particularités qui nous échappent, faute de documents ; nous ne le connaîtrons sans doute jamais, on n’en est pas moins en droit d’affirmer son existence, en observant bien entendu qu’il n’était pas une langue dans la langue, mais constituait une simple variété ou plutôt une série de variétés, car il devait présenter, du Rhin à la Garonne, des phénomènes assez différents[4].

On devine les causes qui, par la suite, vinrent accentuer les divisions et quelquefois marquer des contrastes, là où originairement il n’y avait que des nuances. La chute de l’empire et la destruction de l’unité romaine au profit d’États indépendants coupaient des liens linguistiques, que l’Église, longtemps tenue en échec par l’arianisme, et du reste barbare elle-même, ignorante aussi à cette époque de la langue catholique qu’elle voulait maintenir, ne pouvait pas renouer. Il se fit alors un obscur travail d’où les langues néo-latines sortirent comme les nations elles-

  1. Ed. Keil, 391, 31 ; 392, 4, 11, 33 ; 394, 12, 14 ; 395, 17.
  2. Opera, VII, 357. Cf. plus haut, p. xxxviii.
  3. Sed tu, Brute, jam intelliges cum in Gallia veneris, audies tu quidem etiam verba quædam non trita Romæ, sed hæc mutari dediscique possunt (Brut., 46,171). Cf. Consentius, 394, 12 : Galli pinguius hanc (litteram i) utuntur, ut cum dicunt ite, non expresse ipsam proferentes, sed inter e et i pinguiorem sonum nescio quem ponentes. Sulp. Sévère, Dial., II, 1 : quos nos rustici Galli tripetias vocamus.
  4. Voir sur toute cette question Ebert, zur Geschichte der catalanischen Litteratur, II, 249, et Ascoli, Una lettera glottologica, Turin, 1881 (13-53).