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SUR DU GUESCLIN.

perdit deux des meilleurs de son écurie dans cette seule nuit. Chacun[1] luy reprochoit le mal qu’il souffroit, et la perte qu’il faisoit de ses gens qui s’égaroient dans toute cette confusion tumultueuse. Il tâcha de consoler tout le monde en disant que les Anglois avoient assez d’or et d’argent pour les dédommager, et qu’après qu’on les auroit battus, on trouveroit dans leurs dépoüilles dequoy se recompenser au centuple de tout ce qu’on auroit perdu dans l’effort qu’on faisoit pour les surprendre.

Il avoit dans ses troupes toute la belle jeunesse de Normandie, de la Bretagne, du Mans et du Poitou, qui ne demandoient qu’à joüer des mains avec les Anglois, et Bertrand les entretenoit toûjours dans cette noble chaleur de combattre ; et tandis qu’il les animoit tous à bien faire, les tenebres se dissiperent, les vents se calmerent, les pluyes cesserent, et le jour parut, qui leur fit connoître qu’ils n’étoient pas loin de Ponvallain. Tous les soldats étoient trempez comme s’ils fussent sortis du bain. Bertrand, pour se delasser avec eux, et les faire un peu respirer, fit faire alte au milieu d’un pré, pour reconnoître tout son monde,

  1. Mais ceulx especialment, qui avec Bertran chevauchoient, eurent du mal à foison. Car il chevaucha si fort, que il estancha soubz lui deux bons chevaulx. Dont il fu assez blasmé de ses hommes, qui lui disoient : « Haa ! sire, nous perdons tous noz chevaulx, ne jamaiz ne nous en aiderons à nostre besoing, et aussi avons assez perdu de noz gens, qui se sont esgarez pour l’orage du temps, qui ne pouvoient esploictier. Seigneurs, dist Bertran, je vous en respondray. Il sera tantost jour, que nous verrons entour nous. Se nous trouvons les Engloiz, nous nous bouterons dedens, et seront tantost desconfiz. Car nous les surprendrons. Et se nous n’avons nul cheval, nous en conquesterons assez, ou jamais n’en aurons besoing nul jour. » (Ménard, p. 414.)