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LE NOUVEAU RÉGIME

choisir sa profession et d’ouvrir boutique. À la campagne, la suppression des dîmes, du droit de chasse et des droits féodaux se révélait enfin comme un bienfait.

Au bas de l’échelle sociale, les ouvriers et les travailleurs manuels avaient moins de motifs de se réjouir. La stabilité d’un régime d’ordre, qui était promise à tout le monde, n’était pas pour satisfaire ceux d’entre eux qui, dans les districts industriels de Liège, s’étaient lancés dans l’agitation babouviste, ou avaient espéré du moins être traités par la République comme « la classe la plus intéressante des citoyens ». Déjà d’ailleurs, sous le Directoire, ils avaient vu disparaître leurs illusions. On avait cassé les élections où leurs voix avaient été prépondérantes et les orateurs qu’ils avaient applaudis s’étaient vus traités d’anarchistes. Mais ils étaient sans organisation, et au surplus trop peu nombreux pour pouvoir agir. La misère était la source de leur mécontement. C’est elle, beaucoup plus que les théories sociales auxquelles la plupart d’entre eux étaient incapables de rien comprendre, qui avait déterminé leur conduite. Ils seraient satisfaits s’ils avaient du pain. Et le retour de la paix leur en assurait, car, réunie à la France, la Belgique disposait d’un marché immense et il était clair que du jour où les circonstances permettraient à son industrie de se ranimer, une période de prospérité indéfinie s’ouvrirait devant elle.

Ainsi tout se réunissait pour faire bénir par les Belges le coup d’État de brumaire. Sans doute, la nouvelle constitution, et plus encore les transformations qu’elle subit sous le Consulat à vie et sous l’Empire, les rivaient plus étroitement que jamais à la France. Sans doute encore, les « vrais principes du gouvernement représentatif », qui devaient être le ressort du nouveau régime, ne jouèrent jamais que très incomplètement et bientôt même ne jouèrent plus qu’en apparence. Mais n’était-on pas résigné, depuis la paix de Lunéville, à considérer l’annexion comme définitive, et pourquoi se serait-on soucié d’exercer des droits politiques qui, vu le petit nombre des députés belges au Corps législatif, ne permettaient pas d’exercer une influence réelle sur le gouvernement ?