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LA SITUATION ÉCONOMIQUE

de résidences abbatiales, les spéculateurs se ruent à la curée. Dès 1797, leurs agissements étaient si scandaleux que Noailles les dénonçait au Conseil des Cinq-Cents et demandait que l’on suspendît en Belgique l’aliénation des domaines nationaux[1]. Parmi eux, à côté des étrangers, moins nombreux à partir de 1800, se rencontrent de grossiers mercantis, ne sachant ni lire ni écrire, et dont l’âpreté et le fruste génie font penser à certains héros de Balzac[2]. Des paysans proprement dits, bien peu sont sortis de la réserve effarouchée dans laquelle ils se sont confinés dès l’origine. Et encore est-il certain que très souvent ils n’ont acheté que comme hommes de paille des anciens possesseurs ou même avec l’idée préconçue de ne conserver leurs acquisitions que pour les rendre en des temps meilleurs[3]. Le plus souvent, les acheteurs campagnards, brasseurs, meuniers, notables de village, appartiennent à ce que l’on pourrait appeler la bourgeoisie rurale.

Malgré la déplorable insuffisance de nos renseignements, nous en savons assez pour conclure avec assurance que, tout compte fait, l’aliénation des domaines nationaux a tourné, en Belgique, au profit de la classe possédante. Elle n’a guère augmenté la petite propriété ; elle a surtout dilaté la grande et rendu les riches plus riches qu’ils n’étaient. Des mains du clergé, le sol a passé surtout aux détenteurs du capital. Parmi ceux-ci d’ailleurs, les « nouveaux riches » semblent en avoir recueilli beaucoup plus que les anciens propriétaires de la noblesse et de la bourgeoisie, de sorte que la grande opération dont les républicains espéraient l’égalisation des fortunes, n’a servi qu’à affermir le crédit et les ressources des capitalistes au moment même où, vers l’année 1800, le pays prend son essor industriel.

Leur situation est d’autant plus favorable qu’ils disposent

  1. Ph. Sagnac, La législation civile de la Révolution, p. 186.
  2. Bergman, Geschiedenis der stad Lier, p. 487.
  3. J. Cuvelier, Een kijkje in de goederenverdeeling op het einde der XVIIIe eeuw. Limburgsch Jaarboek 1894-1895 ; Janssens, Geschiedenis van Turnhout, t. I, p.355, n.