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LA SITUATION ÉCONOMIQUE

Elles crurent avoir fait assez pour « la classe la plus intéressante de la société » en lui ouvrant toute grande la carrière de la libre concurrence.

C’était faire du salaire un contrat entre employeur et employé ; c’était donc le livrer à toutes les fluctuations du marché du travail ; c’était le subordonner, en d’autres termes, à l’offre du travail, et cette demande était surabondante. Car, toute restriction étant abolie, ce ne furent point seulement des hommes, mais aussi des femmes et des enfants qui s’offrirent aux industriels. Et puisque le bon marché de la main d’œuvre était pour ceux-ci une condition indispensable de succès, ce fut aux enfants et aux femmes qu’ils s’adressèrent de préférence. Le machinisme permettant de les employer à des besognes dont leur faiblesse les excluait jadis, on les préféra parce qu’ils coûtaient moins. Comme en Angleterre, c’est eux qui, de plus en plus, remplissent les ateliers. En 1808, Bauwens déclare qu’ils constituent les trois quarts de son personnel. Faipoult remarque qu’ils abondent dans les fabriques d’indiennes. Dans les ateliers de Cockerill, pour 150 adultes, il y a 150 enfants, et, avec les femmes, ils peinent dans les mines, tant à la surface que dans les galeries du fond. Les abus furent bientôt tellement intolérables qu’il fallut que le gouvernement se décidât à intervenir : en janvier 1813, un décret fixait à dix ans l’âge d’admission des enfants dans les houillères.

La législation révolutionnaire, en affranchissant les ouvriers et en leur interdisant même de se réunir pour délibérer sur leurs intérêts professionnels, avait du moins tenu la balance égale entre eux et les patrons. Il n’en fut plus de même à partir du Consulat. Ici comme en tant d’autres choses, Napoléon s’inspira des pratiques de l’Ancien Régime. L’obligation du congé par écrit que la monarchie avait imposée aux employés d’usine, fut reprise et développée par la loi du 22 germinal an XI et par l’arrêté du 9 frimaire an XII sur les livrets d’ouvriers. Désormais le travailleur ne peut être embauché s’il n’est porteur d’un livret signé par le patron qu’il a quitté, de sorte qu’il se trouve en fait à la merci de celui-ci. En 1811, à Liège, l’exiguité des salaires poussant