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CONDITION DES OUVRIERS

les ouvriers chapeliers à quitter la ville, les patrons, pour les y retenir, refusent la restitution de leurs livrets[1]. L’ouvrier sans livret est considéré comme un vagabond et il dépend de la police de l’envoyer par le fait même en prison.

Rien d’étonnant si, dans le langage de l’époque, les mots « ouvrier » et « indigent » sont trop souvent des synonymes. La misère physique et la misère morale dégradent la classe des travailleurs. C’est une populace de « prolétaires », et l’usage croissant de ce mot est singulièrement caractéristique. Les salaires maintenus au plus bas par la multiplication de la main d’œuvre ne suivent que de loin le renchérissement de l’existence. D’après Viry, un journalier qui gagnait en 1789 1 fr. 40, gagne seulement 1 fr. 46 en 1803, tandis que le taux moyen de la dépense par individu a passé durant la même période de 4 fr. 36 à 5 fr. 32. Dans de telles conditions, il est fatal que la femme et les enfants de l’ouvrier soient chassés vers l’usine. Grâce à elle, le ménage peut vivre, mais à quel prix ! Plus de vie de famille et plus d’instruction, puisque la mère est arrachée au foyer et que ses petits n’iront pas à l’école. Tous les renseignements nous dépeignent une situation navrante. L’ignorance est aussi générale parmi les pauvres gens que la brutalité des mœurs. Entassés dans des taudis, ils végètent au milieu d’une hygiène déplorable. Le moindre chômage les met à la charge des bureaux de bienfaisance dont les ressources, par suite de la conversion des rentes de l’État, ne suffisent pas à les soutenir et contraignent quantité d’entre eux à recourir à la mendicité.

Aigris par leurs souffrances, ils sont travaillés par un esprit de révolte qui éclate çà et là en brusques et brèves échappées. En 1810, l’introduction de nouvelles mécaniques à Eupen provoque des troubles. À Verviers, en 1812, les tondeurs se mettent en grève parce que l’on a augmenté leur besogne sans augmenter leurs salaires. Une autre grève est fomentée à Gand en 1806 par les ouvriers des imprimeries du coton. Mais le

  1. Archives de l’État à Liège. Correspondance du Préfet de l’Ourthe, 8 mai 1811.