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LA POLICE

est suspect et plus on est élevé dans l’échelle sociale, plus on est en péril. M. et Mme  de Beaufort et bien d’autres de leurs pareils reçoivent l’ordre d’aller s’installer à Paris. Le gouvernement refuse la démission des gens en place qu’il oblige à participer aux mesures odieuses auxquelles il a recours, car rien n’est respecté dès qu’il s’agit du service de l’empereur. Il faut que les préfets se résignent à violer l’intimité des familles et à recenser les héritières qui pourront être contraintes à épouser des officiers. De même qu’ils sont devenus agents recruteurs, ils deviennent agents de police. Il est visible qu’à partir de 1811 la « haute police », organisée en commissariats généraux, tend à se subordonner le gouvernement civil. Elle fait arrêter ou jeter en prison, sans autre motif, les suspects, les indésirables ou les « mal pensants », qui gênent ou inquiètent l’autorité. Avec la vitesse croissante d’un corps qui tombe, le gouvernement glisse au bon plaisir et au despotisme pur. À Anvers, le préfet d’Argenson, qu’indignent les progrès de l’illégalité et de l’arbitraire et qui voudrait se concilier ses administrés par la bienveillance et la justice, est dénoncé à Savary par le commissaire Bellemare, et la protection du ministre de l’Intérieur ne parvient pas à le sauver. S’il réussit à déjouer les intrigues ourdies avec la complicité du parquet pour l’impliquer dans une affaire de concussion, le procès Werbroeck devait causer sa chute.

Ce que l’affaire Anneessens avait été au début du régime autrichien, l’affaire Werbroeck le fut au déclin du régime impérial[1]. L’émotion qu’elle souleva s’explique beaucoup moins par son importance et par la personnalité de l’accusé que par le prétexte qu’elle offrit au public d’épancher son ressentiment et ses rancœurs. Werbroeck avait toujours passé pour un adhérent convaincu du système français. Jadis, au Conseil des Anciens, il avait voté pour Bonaparte et il en avait été récompensé par sa nomination de maire d’Anvers. Mais depuis longtemps la police le soupçonnait de favoriser la

  1. Voy. Lanzac de Laborie, op. cit., t. II, p. 286 et suiv. ; A. Thijs, Un drame judiciaire sous l’empire français (Anvers, 1901) ; P. Verhaegen, Le procès de Werbrouck et l’octroi d’Anvers. Revue Générale, t. CVII, [1922], p. 381 et suiv.