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LA FIN DU RÉGIME

contrebande et de frauder l’octroi, et après une longue campagne, contrecarrée par les préfets, elle avait enfin obtenu, grâce aux efforts de Bellemare, le 8 juin 1811, un arrêté qui le suspendait de ses fonctions. Quelques mois plus tard, le dossier de l’affaire ayant été placé sous les yeux de Napoléon, l’empereur avait ordonné, pour faire un exemple, des poursuites criminelles. En dépit des objurgations du préfet, le prévenu avait été jeté en prison et, au mépris de la loi, on avait séquestré ses biens. L’affaire fut plaidée à Bruxelles, devant la cour d’assises de la Dyle, au printemps de 1813. Les précautions avaient été minutieusement prises pour amener une condamnation. Tous les jurés, triés sur le volet, étaient Français. Parmi les avocats de Werbroeck on se montrait Pierre Berryer, venu de Paris pour prêter son assistance à l’accusé. Soit que la culpabilité fût douteuse ou que l’éloquence du défenseur l’ait fait passer pour telle, les débats aboutirent, contre toute attente, à une sentence d’acquittement. L’opinion s’était passionnée pour une affaire dont chacun savait l’importance qu’y attachait l’empereur. L’échec personnel que le verdict lui infligeait fut accueilli par un enthousiasme significatif. « La foule attendit le maire à sa sortie du palais de justice, détela sa voiture et la traîna triomphalement jusqu’à son hôtel, sous les fenêtres duquel les fanfares se succédèrent pendant toute la soirée. »

Acclamer la victime du despotisme, c’était huer le despote. Napoléon ne s’y trompa point. Son orgueil était en jeu : la loi n’avait qu’à se plier à sa volonté. De Dresde, où il dirigeait les opérations militaires qui allaient aboutir au désastre de Leipzig, ses ordres s’abattirent aussitôt, cassants et hautains. Il fit incarcérer un avocat bruxellois qui avait plaidé avec trop de vivacité, et Berryer n’échappa au même sort que sur les instances de Cambacérès.

Une lettre impériale, insérée au Moniteur, accusa le jury de corruption et, par une illégalité flagrante, le Sénat fut saisi de l’affaire sous le prétexte que la constitution lui donnait le droit d’intervenir en cas d’actes attentatoires à la sûreté de l’État, et que « le souverain étant la loi suprême et toujours