Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
280
L’INSTALLATION DU RÉGIME

qu’elle aura ouverte passera tout le reste de l’Ancien Régime, et sur les ruines de l’État moderne se rétabliront, par l’alliance du trône et de l’autel, tous les abus et tous les privilèges qui, à mesure que l’on s’en éloigne, paraissent plus monstrueux. Ne voit-on pas, en France, le clergé grouper autour de lui tous les ennemis de la Charte, susciter à Louis XVIII des difficultés incessantes, conspirer avec le comte d’Artois, exiger le retour des jésuites, organiser la « terreur blanche » contre les partisans des droits de l’homme, bref, se poser en adversaire irréconciliable de l’ordre social, menacé par lui d’une révolution réactionnaire ? Et dans les Pays-Bas, sa conduite n’est-elle pas plus significative encore ? Ne proteste-t-il pas contre la Loi fondamentale, contre la tolérance, contre les lois civiles les plus essentielles à la liberté de conscience et à l’égalité des citoyens ? Pour lui résister, il n’est évidemment qu’un moyen : faire bloc autour du roi, protecteur de l’État, et par cela même protecteur des principes sur lesquels il est fondé. La liberté politique importe peu : ce qui importe, c’est la défense de la liberté civile contre l’Église qui la menace. Le libéralisme consiste en ce moment-là, non point à attaquer les prérogatives royales, mais au contraire à les soutenir, puisqu’elles sont le rempart indispensable à la défense du régime nouveau contre l’Ancien Régime. Ainsi pense Reyphins, ainsi pense Dotrenge[1], juristes formés par la législation et l’administration napoléoniennes et qui, durant les premières années de l’existence du royaume, seront les coryphées de ces libéraux belges dont l’attachement à l’État laïc et à la société civile fera les plus fermes appuis de la couronne. S’ils la défendent, ce n’est point par attachement à la Hollande. Leurs principes, leur formation, leur langue, tout cela vient de France, et c’est un spectacle curieux et paradoxal que de voir Guillaume, cette sentinelle de l’Europe contre la France, forcé de s’appuyer, par nécessité politique, sur une clientèle de libéraux d’éducation toute française.

  1. Voy. à cet égard sa lettre à Falck du 10 août 1815, tout à fait caractéristique de son anticléricalisme. Colenbrander, Ontstaan der Grondwet, t. II, p. 579 et suiv.