Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
ÉMIGRÉS FRANÇAIS ET LIBÉRAUX

qui lisent ne lisent que des journaux français. Ceux du pays cherchent à en imiter le ton et se forment à leur exemple. La presse, attentive à tout ce qui paraît à Paris, en lance aussitôt des contrefaçons. Le théâtre du Parc, où les réfugiés font venir des troupes françaises, joue devant une salle comble. Jamais, semble-t-il, depuis la fin du XVIIIe siècle, l’emprise de la France sur la Belgique n’a été aussi grande qu’à ce moment. On s’y abandonne parce qu’on n’a plus à la craindre, parce qu’elle n’agit plus que par son prestige, et qu’elle ne s’impose plus comme jadis par la violence et la conquête. Aussi bien, ne sont-ce point les mêmes problèmes qui, des deux côtés de la frontière, se trouvent à l’ordre du jour ? Ici et là, la même lutte ne se livre-t-elle pas entre adversaires et partisans du monde nouveau né de la Révolution ?

La portée du conflit allait bien au delà des questions de l’heure, mais personne encore ne pouvait en prévoir les répercussions lointaines. Pour le moment, elle semblait circonscrite aux limites de la Loi fondamentale et le roi, satisfait de l’appui que lui apportaient les libéraux, comptait sur leur adhésion perpétuelle et se croyait habile en secondant partout leurs progrès.

Dans presque toutes les grandes villes, ils dominaient dans les loges maçonniques. Elles s’étaient reconstituées sous l’Empire, au gré des circonstances, et elles avaient attiré vers elles la bourgeoisie anticléricale. Peu influentes d’ailleurs et n’entretenant les unes avec les autres que des rapports peu suivis, elles s’étaient soigneusement abstenues d’attirer sur elles l’attention de la police napoléonienne. Mais, après 1815, elles aussi avaient ressenti l’influence des réfugiés français. À Bruxelles, Prieur de la Marne était secrétaire et orateur des « Amis philadelphes », et dans toutes les autres loges l’action des proscrits de la Restauration était prépondérante. Le roi songea tout de suite à les utiliser à son profit et à les détacher du Grand-Orient de France pour les unir en un seul corps national. En 1818, il parvint à faire reconnaître son second fils, le prince Frédéric, comme grand-maître de toutes les loges