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LA BELGIQUE DE 1815 À 1830

la prospérité. Les efforts de la puissante association hollandaise Tot Nut van ’t Algemeen pour prendre pied en Belgique ne réussissent pas mieux[1]. La protection des autorités civiles et militaires ne parvient guère à y attirer que des fonctionnaires, d’anciens officiers ou des Hollandais établis dans le pays. Presque aucun Belge parmi ses membres, et en tous cas aucun catholique, car le clergé qui la considère comme un organe de propagande calviniste employe contre elle toute son influence. Elle finit cependant par s’établir à Dixmude, à Ostende, à Nieuport, à Ypres, à Bruges, à Anvers, à Termonde, à Gand, à Bredene, à Thielt, à Louvain, à Bruxelles et à installer même une section en pays wallon, à Namur. Mais elle ne comptait en 1829 que 641 adhérents, et ses directeurs reconnaissaient tristement l’année suivante qu’elle n’était pas « une plante qui pût enfoncer ses racines dans le sol belge ».[2]

Toutes ces déconvenues sont significatives. Dans les circonstances où il se trouvait, le gouvernement ne pouvait que donner à la bourgeoisie un grief de plus en prétendant choisir pour elle la « langue nationale » dont elle aurait à faire usage. Cette présomption parut une atteinte insupportable à la liberté. En fait, la situation linguistique ne fut en rien modifiée par les arrêtés de 1819, et on ne s’aperçut de leur existence que dans les bureaux. Encore les fonctionnaires y dérogeaient-ils partout où la loi ne le leur interdisait pas formellement. De 1815 à 1830, non seulement le français conserva dans l’existence sociale la place qu’il s’y était faite, mais il semble même qu’il l’ait agrandie.

La presse contribua certainement à augmenter sa diffusion à mesure que l’accentuation du mouvement politique multiplia le nombre et le tirage des journaux. La cour elle-même semblait justifier, en le partageant, le goût du public. Si le roi, pendant ses séjours à Bruxelles, affectait de n’assister qu’aux représentations théâtrales données en hollandais, son fils, le

  1. Gedenkstukken 1815-1825, t. II, p. 470, 472.
  2. P. Fredericq, De maatschappij Tot Nut van ’t Algemeen in Zuid-Nederland tot aan de Belgische omwenteling van 1830. Bullet. de l’Acad. Roy. de Belgique. Classe des Lettres, 1913, p. 269 et suiv.