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LES JOURNÉES DE SEPTEMBRE

plus terrible, c’est qu’elle ne peut songer à battre en retraite. Ce serait une honte intolérable de reconnaître devant l’Europe, à laquelle elle devait servir d’avant-garde contre la France, qu’elle ne peut venir à bout d’une poignée d’insurgés. Et surtout, il est trop certain qu’à la moindre apparence de recul, la Belgique entière se soulèvera. Le prince Frédéric a perdu la tête. Il comptait sur une promenade militaire et le voici lui-même presque assiégé ! Il se croit victime d’un complot. Les assurances qu’il a reçues des Orangistes ne lui paraissent plus que des machinations combinées pour l’attirer dans un guet-apens. Dans son désarroi, il se résigne à négocier avec les rebelles et, la nuit venue, se met secrètement en rapport avec d’Hoogvorst.

Plus intelligent et moins désorienté, il se fût épargné cette humiliante démarche. Elle ne pouvait qu’augmenter la résolution des patriotes. Le matin, ils avaient combattu sans espoir ; l’arrêt des Hollandais leur donnait maintenant la certitude de vaincre. Leurs forces croissaient en même temps que leur confiance en eux-mêmes. L’ennemi n’ayant pas pris la précaution d’encercler la ville, l’accès en était libre du côté du sud, et sur toutes les routes se pressaient des renforts. De Nivelles, du Borinage, des bandes d’hommes armés de piques marchaient sur Bruxelles ; des femmes même venaient prendre part à la lutte. D’Ath, on amenait des canons dont le peuple s’était emparé après avoir chassé la garnison. En Flandre, des paysans se mettaient en mouvement sous la conduite de leurs curés. Au début du combat, les défenseurs n’étaient encore que quelques centaines ; à la fin de la journée ils étaient des milliers. Plus leur succès était inattendu, plus il était éclatant. L’enthousiasme patriotique se déchaînait et s’imposait aux irrésolus et aux timides. Les Orangistes, si arrogants quelques heures plus tôt, avaient disparu.

Les promoteurs de l’insurrection ne s’étaient éloignés que parce qu’ils désespéraient de la bataille. Ils firent volte-face en apprenant qu’elle était engagée. Parti le dernier, Rogier rentra le premier dans Bruxelles au bruit de la fusillade. D’Hoogvorst, imperturbable, n’avait pas quitté l’hôtel de ville.