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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/44

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JEMAPPES

II

S’il eût été l’arbitre des événements, il n’est point douteux que Dumouriez n’eût doté les Belges de cette indépendance qu’ils acclamaient en lui avec tant de naïve confiance. Ses promesses n’étaient pas mensongères. Une république amalgamant les Pays-Bas autrichiens avec le pays de Liège, qui l’eût reconnu comme protecteur, lui eût donné la force et le prestige auxquels aspirait son ambition inquiète. S’il avait affecté quelque temps des allures jacobines, il rêvait maintenant de restaurer en France un gouvernement constitutionnel. Déjà son « modérantisme » était dénoncé à la Convention et dans les clubs de Paris. Ce lui était un motif de plus pour fonder en Belgique une constitution républicaine qui, par l’alliance de la liberté et de la sagesse, l’eût désigné comme chef aux modérés et aux conservateurs libéraux épouvantés par l’arrivée au pouvoir de Danton et des Montagnards. L’autonomie qu’il imaginait pour la Belgique était ainsi subordonnée à ses projets sur la France, et il ne s’y intéressait que dans la mesure où elle pouvait leur être utile.

Dès le début, il s’était efforcé de se gagner les Belges. Il n’ignorait pas que le radicalisme jacobin n’avait parmi eux qu’un nombre infime d’adhérents. Tout de suite il avait rompu avec le Comité des Belges et Liégeois unis dont les outrances l’eussent irrémédiablement compromis. Il se dépouillait de toute morgue révolutionnaire, s’ingéniait à ne pas froisser la bourgeoisie et cherchait même à se rapprocher de la noblesse. Le bruit courut dans les salons de Bruxelles que Mlle de Crumpipen était sa maîtresse[1]. Quant au clergé, s’il était impossible de lui témoigner une faveur qui eût fait scandale parmi les troupes, du moins s’abstenait-il d’afficher à son égard l’arrogance et le dédain des sans-culottes. Surtout, il continuait à s’affirmer l’ami et le libérateur de la nation.

  1. Revue historique de la Révolution française, t. V, [1914], p. 55.