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JEMAPPES

geoisie. Et encore ses adhérents étaient-ils fort loin de s’entendre. D’accord pour fonder une république belge, ils n’avaient ni organisation ni programme communs. Ces démocrates ne concevaient pas de même la démocratie. Presque tous se défiaient de la « populace » et n’acceptaient le suffrage universel que pourvu de garanties conservatrices.

Un projet de constitution élaboré à cette époque est caractéristique de leur état d’esprit[1]. « Tout en adoptant les principes démocratiques qui ont servi de base à la constitution française », il recommande « de les appliquer avec les réserves que l’on doit à un pays qui diffère de mœurs et d’opinions et qui n’est travaillé ni par les mêmes abus, ni par les mêmes besoins qui ont amené et nécessité la révolution en France ». Il ne peut être question de donner à la république belge la forme fédérative proposée par Vonck en 1790. L’idéal est d’unir en un seul corps politique les Pays-Bas et le pays de Liège. La souveraineté du peuple et l’égalité des citoyens sont à la base de l’ordre de choses nouveau. Le corps législatif sera élu au suffrage direct de tous les citoyens, à la seule exception des mendiants et des domestiques. Mais ce corps législatif comprendra une chambre spéciale élue par les seuls propriétaires. La propriété, en effet, étant accessible à tous, ne peut prêter au soupçon d’aristocratie. Bien différente de la noblesse, la propriété n’est pas un privilège. Les nobles pourront, s’ils le veulent, conserver leurs titres désormais dépouillés de toute signification politique. Les droits féodaux seront supprimés, avec indemnité pour ceux qui proviennent d’une concession de terre, sans indemnité pour ceux qui découlent de la servitude. Ainsi, de l’Ancien Régime rien ne subsistera plus. Mais dans la nouvelle république affranchie de l’Autriche, du morcellement provincial, des privilèges, des traditions et des droits acquis, une place prépondérante est réservée à la classe possédante ou, si l’on veut, à cette classe bourgeoise dont l’influence sociale n’a cessé de grandir depuis

  1. Il fut publié en décembre 1792, sous le nom de Constitution pour la République Belgique par un citoyen belge.