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LA CONSTITUTION BELGE

ment, ses agents jouirent d’une influence et d’un prestige bien moindre que ceux qu’ils avaient possédés auparavant. À partir de 1830, l’administration fut considérée comme un « mal nécessaire ». On se préoccupa beaucoup plus d’en restreindre l’intervention et surtout les dépenses, que d’en assurer le bon fonctionnement et le bon recrutement. Conformément à l’esprit général des institutions, la seule autorité qui parût naturelle, ce fut l’autorité élective.

Avec cette défiance qu’elle pousse jusqu’à l’énervement du pouvoir, la constitution belge ne pouvait convenir qu’à un petit pays. N’ayant à s’occuper ni de défendre de grands intérêts à l’extérieur, ni à imposer sa puissance et à la faire respecter, le Congrès a restreint son horizon au peuple même pour lequel il légiférait. La force du gouvernement central qui est, dans un grand État, la garantie primordiale de l’existence de la nation, lui est apparue comme un danger pour la liberté. Si la Belgique eût été une grande puissance, jamais elle n’eût poussé aussi loin les conséquences du libéralisme politique dont procèdent ses institutions.

Mais, c’est justement parce qu’elle s’en est inspirée avec tant de logique que sa constitution est apparue à tous les peuples comme la charte par excellence des libertés modernes. Elle pouvait leur convenir à tous parce qu’elle formulait vraiment le programme du gouvernement constitutionnel et parlementaire. Répondant au sentiment intime d’une nation traditionnellement attachée à la liberté politique, elle sut donner à cette liberté la forme qui lui convenait au XIXe siècle. Son éclectisme, ses emprunts aux constitutions et aux théories politiques de France, d’Angleterre et d’Amérique la préparaient encore à la fortune cosmopolite qui fut la sienne[1]. L’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Roumanie, la Hollande elle-même devaient plus tard s’en inspirer largement. Quant aux Belges, ils furent fiers de l’œuvre du Congrès. Ils se considérèrent comme le

  1. Sur les sources de la constitution, voy. E. Descamps, La constitution belge comparée aux sources modernes et aux anciennes constitutions nationales (Bruxelles, 1887), et La mosaïque constitutionnelle. Essai sur les sources du texte de la constitution belge (Louvain, 1892).