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MÉCONTENTEMENT GÉNÉRAL

tement. Partout elle se heurte à une résistance obstinée. Les jacobins eux-mêmes protestent contre l’obligation de les recevoir au pair. Personne n’en croit les commissaires quand ils affirment que « ce sont des arpents qui circulent » et que « le papier-terre est lié au système de la liberté »[1].

Mais ce « système », on dirait que les commissaires et leurs agents s’acharnent à le discréditer en soulevant contre lui le sentiment religieux. Leur impiété apparaît d’autant plus odieuse qu’elle n’est bien souvent que le prétexte de leurs rapines. Dans quantité de villes, à Bruges, à Hal, à Nivelles, à Alost, à Tournai, à Grammont, ils enlèvent les argenteries « inutiles » des églises. À Bruxelles, du 6 au 11 mars, la basilique de Sainte-Gudule est pillée à fond, tandis que des soldats et des ivrognes s’y livrent à des mascarades sacrilèges et foulent aux pieds les hosties consacrées[2]. Il est évident que le décret du 15 décembre n’a que trop bien réussi à désorganiser le pays. En fait, il l’a livré à l’exploitation la plus brutale et soumis au bon plaisir des dictateurs de la Convention et des rares jacobins qu’ils soutiennent. On ne cherche même pas à appliquer ses stipulations. Ici, on destitue les autorités provisoires, ailleurs, on les laisse en place. Plus aucun service ne fonctionne. Les clubs terrorisent les administrateurs, usurpent leurs fonctions.

Une telle situation devait conduire à une catastrophe. Déjà, sur plusieurs points du territoire, on signalait des émeutes. À Ostende, les habitants quittaient la cocarde tricolore et criaient « Vive l’Empereur ». Dans les villages, dans les petites villes sans garnison, la population prenait une attitude menaçante. Il fallait couper court à cette agitation et se hâter de faire demander par la Belgique sa réunion à la France. Dès le 3 février, une assemblée de commissaires avait déclaré qu’il était temps d’y procéder. Si aveugles qu’ils fussent, ils ne pouvaient se dissimuler que l’opinion exaspérée se prononcerait presque unanimement contre elle. Aussi étaient-ils bien décidés

  1. Chaussard, Mémoires, p. 111.
  2. L. Galesloot, Chronique des événements les plus remarquables arrivés à Bruxelles de 1780 à 1827, t. I, p. 115 et suiv. (Bruxelles, 1870).