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MISE AU PILLAGE DU PAYS

autrichienne, avaient attendu en se cachant le retour des Français. Aigris par l’exil ou avides de revanche, ils étaient prêts à tout et leurs passions politiques, avivées par la rancune, les excitaient contre leurs compatriotes en qui ils ne voyaient plus que des ennemis. Leur cause se confondait avec celle de l’étranger ; par intérêt aussi bien que par conviction, ils ne concevaient d’autre avenir pour la Belgique que son absorption et sa régénération par la France républicaine. Côte à côte avec les vainqueurs, ils siégeaient dans les Comités de surveillance, dans les Sociétés populaires, avides de pouvoir et de faire trembler devant eux les aristocrates, les riches et les prêtres. Des haines privées, des jalousies de famille ou de voisinage contribuaient encore à exaspérer la violence de beaucoup d’entre eux. En général ces ex-persécutés se montrèrent pour leurs concitoyens beaucoup plus tyranniques que les Français.

Mais sauf à Liège, dans le Franchimont, à Mons et à Gand, leur nombre était vraiment trop infime pour qu’ils pussent suffire à la besogne. Il fallut réquisitionner, sous menace « d’être considéré comme suspect et traité suivant les lois révolutionnaires » d’anciens employés des États ou des Conseils de justice. Il fallut surtout faire venir de France quantité d’auxiliaires. Le temps manquait pour s’assurer de leur moralité ou de leur compétence. On accepta pêle-mêle tout ce qui se présentait et l’occasion était trop belle de prendre part à la curée pour qu’une tourbe d’aventuriers et de fripons ne s’abattît pas aussitôt sur la Belgique. Ils emplirent les bureaux de la commission des armées et de celle des transports, ceux de l’agence du commerce surtout, à qui était dévolue la fonction de saisir et d’exporter en France tous les vivres, produits du sol et fabricats, non indispensables aux habitants.

Dès lors l’exploitation du pays se transforme en pillage. La rapacité des commis se fait d’autant plus éhontée qu’elle est assurée de l’impunité. Qui oserait se plaindre quand il suffit du moindre soupçon pour être noté comme suspect et sur l’ordre des Sociétés populaires, arrêté et jeté en prison ? Plus on est riche, plus on est exposé. La réaction de thermidor, si elle a mis fin à la terreur, continue à flatter les démagogues.