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FLEURUS

aussi, leur annexion. Si hostiles qu’ils fussent à la République, ils préféraient encore être absorbés par elle plutôt que de supporter plus longtemps le régime qu’elle leur imposait. Les trois « membres » de Bruxelles décidaient, à la fin de juillet 1794, d’envoyer une « députation solennelle » porter à Paris le vœu du peuple d’être réuni à la nation française. Luxembourg, Anvers, d’autres villes encore se prononçaient dans le même sens. Et pourtant les représentants signalaient comme détestable l’opinion de Bruxelles, et à Anvers il avait fallu, le 28 octobre 1794, saisir quatre-vingts otages et mettre en arrestation une centaine de prêtres.

La Convention était bien décidée à régler le sort de la Belgique sans en consulter les habitants. Sa résolution était certaine d’avance. La doctrine des frontières naturelles, qui avait été si souvent invoquée par la monarchie, l’était maintenant par la République. Bien rares ceux qui songeaient encore à constituer les Pays-Bas autrichiens et le pays de Liège en une république indépendante. L’impérialisme thermidorien ne pouvait plus tolérer un projet aussi timide et auquel se rattachait d’ailleurs le souvenir de « l’infâme Dumouriez ». En Belgique même, les républicains avancés en étaient adversaires. Ils appréhendaient que l’indépendance du pays n’eût pour résultat de le livrer au « fanatisme ».

Il n’est pas douteux cependant qui si l’opinion eût pu s’exprimer librement, elle se fût à une écrasante majorité prononcée contre l’annexion. Mais il fallait du courage pour oser dire tout haut ce que presque tout le monde pensait. Un ancien conseiller au Conseil Souverain du Hainaut, A.-P. Raoux, rompit le silence général. Dans un mémoire adressé au Comité de Salut Public, il ne craignit point d’affirmer que les quatre cinquièmes de ses compatriotes ne voulaient pas du régime français. En fallait-il d’autres preuves que leur répugnance à accepter les fonctions de jurés ou celles d’officiers municipaux ? Les Belges n’avaient-ils pas leurs mœurs et leur caractère ? La piété n’était-elle pas chez eux aussi honorée qu’elle l’était peu en France ? Et l’Ancien Régime, tel qu’ils l’avaient connu, n’était-il pas exempt de la plupart des abus qui en avaient