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LE BANQUET

que dans le morceau qui couronnait la discussion dialectique, il manifeste pourtant un souci plus net de marquer avec précision les moments de son évolution propre. En tout cela il n’y a rien qui doive surprendre : ni d’abord le dogmatisme didactique, ni ensuite le lyrisme, avec l’usage constant de la langue poétique et de la phrase métrique, y compris même des vers ou bouts de vers qui ne sont peut-être pas des citations (cf. p. 64, n. 4). Ce sont autant d’exigences de la fiction adoptée : Diotime doit faire figure de Sophiste, enseignant du haut de sa chaire, et elle doit aussi tenir le langage d’une prophétesse inspirée (cf. p. xxvi et p. 60, n. 3). Enfin Platon se propose probablement, pour une part, de pasticher la manière d’Agathon.

a. Nous nous étions arrêtés sur cette idée que l’objet final de l’amour est la perpétuité dans la possession du bon, la continuation de notre existence et, pour bien dire, l’immortalité. D’où vient, se demandera-t-on maintenant, que l’amour ait un tel objet ? C’est qu’il existe au plus profond de la nature de l’être vivant, bête aussi bien qu’homme, une tendance de la nature mortelle à se perpétuer et à s’immortaliser autant qu’elle le peut. Au surplus, la synthèse de ces deux contraires, qui est un caractère essentiel de l’Amour et en fait un démon, résulte de toute la suite ; des propositions sur lesquelles l’accord s’est fait antérieurement (cf. p. 63, n. 1). Autrement, comment expliquer chez les bêtes l’état, véritablement anormal, où on les voit au moment de la reproduction et pour tout ce qui touche à l’élevage et à la protection de leur progéniture ? Alors en effet elles abdiquent l’instinct de la conservation ; elles s’exposent à perdre leur vie individuelle pour que la vie de l’espèce se réalise ou soit sauvegardée. Une telle abnégation, explicable, dit-on, chez l’homme par un vouloir réfléchi (cf. p. 62, n. 3), est incompréhensible chez les bêtes, si l’on n’admet en elles un instinct assez fort pour abolir, au moment des amours, l’instinct qui pousse l’être à se conserver soi-même. Or, c’est précisément cette même tendance à se perpétuer dans un être nouveau et distinct de celui auquel il doit d’exister, que l’on a déjà rencontrée chez l’homme (principalement 206 cd). Enfin, cette tendance est si profondément inhérente à la nature du vivant, qu’elle se manifeste jusque dans sa vie individuelle : de la naissance à la mort, sans cesse nous deve-