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NOTICE

tardifs : une statistique brutale des particularités verbales risque en effet de méconnaître les altérations apportées dans la prose du second discours de Socrate par le seul parti-pris poétique qui le domine d’un bout à l’autre. Encore moins déterminantes pour renoncer à voir dans le Phèdre une œuvre de jeunesse seraient d’ailleurs les raisons tirées des rapports personnels entre Platon et Isocrate : on verra plus tard combien elles sont fragiles (p. clxxii, sqq.). Une discussion sur ce point entraînerait donc fort loin[1] : aussi me contenterai-je de quelques indications sur la position que me semble avoir le Phèdre dans l’œuvre de Platon. Tout compte fait, la prétendue objectivité sur des matières historiquement si obscures n’est, je crois, qu’une chimère : aux vraisemblances qu’on a pu obtenir s’en opposent d’autres, et l’attirail de dates dont chacun étaie sa conviction est un trompe-l’œil. Aussi m’appuierai-je uniquement sur l’analyse interne et sur des considérations relatives au contenu : subjectivité pour subjectivité, celle-ci se reconnaît au moins pour telle.

En premier lieu, je crois le Phèdre postérieur au Banquet. Si c’était l’inverse, on comprendrait mal que, dans un dialogue spécialement consacré à l’amour, Platon en eût dépouillé la théorie de développements qui, sans la modifier, lui donnent cependant toute sa portée. D’autre part, à supposer que Platon eût déjà écrit cet entretien de Socrate avec Phèdre sur l’amour et à propos d’un Érôticos de Lysias, aurait-il présenté dans le Banquet comme il l’a fait (177 a sqq.) les plaintes de Phèdre sur la négligence des auteurs à l’égard d’un tel sujet ? On pensera bien plutôt que, en donnant ici pour interlocuteur à Socrate Phèdre, et non pas un autre, il s’est souvenu des plaintes dont il s’agit : il y aurait donc là un renvoi implicite au Banquet. Il y en a d’ailleurs d’autres et qui sont plus manifestes : Phèdre est celui des hommes de son temps, exception faite pour Simmias le Thébain, qui a fait se produire le plus de discours (242 ab) et, à ce titre, il mérite d’être appelé « le père de beaux enfants » (261 a)[2].

  1. On la trouvera dans ma Théorie platonicienne de l’Amour (1908), p. 63-109. Voir une excellente mise au point de la question dans A. Diès, Autour de Platon, p. 250-255.
  2. Cf. Banquet, Notice, p. xvii et, ici, p. 27, n. 2. L’interprétation que j’ai donnée de καλλίπαις n’est qu’une de celles que propose