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PHÈDRE

avait obscurément senti que l’éloge dont les hommes honoreraient son langage pourrait bien signifier un péché contre les dieux (242 b-d) : l’amour dont les deux discours ont parlé est en effet un amour de gens sans noblesse, et non pas d’hommes libres (243 c)[1]. Mais c’est l’admonition démonique qui a vraiment permis à Socrate de prendre enfin pleine conscience de son péché. Il est donc difficile de ne pas voir là une coupe significative dans le développement du dialogue : à une inspiration qui venait d’en bas s’en substitue désormais une autre, qui vient d’en haut. Car un démon, selon la doctrine du Banquet (202 e sq.), est un médiateur : c’est grâce à lui que l’homme est capable de cette divination de l’âme dont Socrate s’était tout à l’heure jugé investi, et les divinités dont il lui porte le verbe sont des divinités vraiment souveraines. C’est donc, je crois, une erreur de considérer la discussion sur la rhétorique comme inaugurant la deuxième partie du dialogue : dès le début, la rhétorique était son cadre et nous ne sortons pas de ce cadre. Mais ce qui a complètement changé, c’est le rapport à ce cadre de son contenu : celui-ci était jusqu’à présent une image sans vérité, dont on n’a fait que rectifier le dessin sans en corriger l’inconvenance foncière ; c’est la réalité même de l’amour qu’enfermera désormais le cadre. La deuxième partie du Phèdre, comme partie distincte dans l’ensemble, me paraît donc être constituée par le second discours de Socrate.

Dans ce second discours, ce que Phèdre a surtout admiré, c’est la beauté de la forme (257 c). Or il s’était promis, avant de l’avoir entendu, d’obliger Lysias à entrer en compétition avec Socrate, en composant à son tour un éloge de l’amour (243 de). Il craint maintenant que cette compétition ne tourne pas à l’avantage de son héros, sans penser, bien entendu, à autre chose qu’à la difficulté pour Lysias de réaliser dans la forme une pareille élévation. Aussi bat-il prudemment en retraite et allègue-t-il, par anticipation, un prétexte pour excuser Lysias s’il garde le silence : déjà suspect aux politiques en crédit parce qu’il compose des discours et qu’il est un logographe (p. 56, n. 2), ne risquera-t-il

  1. Socrate relève à cet égard des passages du discours de Lysias (232 cd, 233 c) et de son propre discours, 238 e-239 b.