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PHÈDRE

initiations, de ces rites purificateurs, de ces prières dont l’effet est, pour l’homme qui a fait ou connu cette découverte, de se racheter de la peine collective qui pèse sur toute sa race, en punition de quelque faute ancienne commise par un individu de cette race : rédemption qui s’étend à l’avenir, soit par rapport à la destinée ultérieure de la race, soit par rapport à celle de l’individu après la mort, comme dans l’Orphisme. — L’inspiration poétique constitue une troisième espèce du délire. Sans inspiration, c’est-à-dire sans enthousiasme ou possession divine, point de poésie ; l’habileté technique ne suffit pas. Encore faut-il pourtant que l’âme inspirée soit elle-même pure pour que l’inspiration puisse vraiment être considérée comme venue d’en haut[1] — Voilà donc de quels grands effets le délire est capable. Puisque l’amour est un délire, pourquoi ne serait-il pas une autre forme de l’inspiration divine ? Les trois premières constituaient un bienfait

  1. Cf. Notice p. xxxiv et p. 33 n. 1. La condition posée ici paraît prouver que Platon ne désavoue nullement la sévérité qu’il montre ailleurs envers la poésie (p. ex. Rép. II 377 d sqq., 379 c sqq. ; tout le début du livre III ; X 605 a-c, 606 a et en outre les passages qui seront mentionnés plus bas ; Lois II 656 bc, 658 e sqq., 660 a et VII 817 a-c). Il note en effet, et que l’élève des Sophistes se trompe en croyant qu’on peut se passer de l’inspiration pourvu qu’on connaisse les règles (cf. 268 cd), et qu’un Homère se fait illusion quand il s’imagine que, parce qu’il est inspiré, on le laissera libre de pervertir les âmes par sa propre immoralité (cf. Rép. X 595 bc, 600 ab, 606 e sq.). Mais, s’il arrivait que la poésie réunît ces deux conditions d’inspiration et de moralité, on pourrait alors dans l’éducation, qui est le but suprême du législateur philosophe, lui accorder la place à laquelle son origine divine l’autorise à prétendre. — Il n’y a pas grand intérêt à observer, avec la plupart des critiques et après Cicéron (Div. I 37 déb.) comme après Horace (Ars poet. 296), qu’avant Platon Démocrite avait déjà dit (fr. 18 D.) que la poésie suppose l’enthousiasme et le souffle divin. Est-il croyable en effet que Démocrite ait été le premier à le penser et à le dire ? Rappelons plutôt qu’il y a dans l’Ion toute une théorie de l’inspiration poétique (533 e-534 e), qui est très voisine de celle du Phèdre : le poète ne compose que sous l’influence d’une possession divine ; la preuve en est qu’il est même incapable de composer en dehors du genre d’inspiration qui lui est propre, et qu’il peut même lui arriver de ne connaître qu’une seule fois l’inspiration. Voir plus loin p. cxxxii n. 1.