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CRATYLE

méthode rigoureuse, une recherche qui s’élargirait jusqu’au discours. Or dans la revue des éléments nous ne trouvons que des traces de cette série d’opérations. Socrate se borne à énumérer un certain nombre de lettres, quatorze sur vingt-quatre, sans justifier le silence qu’il garde sur les autres. Non seulement il ne les classe point avec exactitude, mais il ne distingue même pas entre voyelles et consonnes. Il cite pêle-mêle celles dont il s’occupe : d’abord une « demi-voyelle » (ρ, vibrante), puis une voyelle (ι), ensuite une muette (φ, labiale aspirée), une consonne double (ψ), une « demi-voyelle » (σ, spirante), et une autre consonne double (ζ) ; après quoi il examine deux muettes (δ, τ, dentales), une « demi-voyelle » (λ, vibrante), une muette (γ, gutturale), une « demi-voyelle » (ν, nasale) ; enfin trois voyelles (α, η, ο). Le nombre des notions auxquelles répondent les lettres énumérées est fort réduit : mouvement, légèreté, agitation, arrêt, glissement, glissement ralenti, intérieur, grandeur, longueur, rondeur. Sont-ce donc là toutes les notions essentielles ? Socrate ne parle même pas de celles qui s’opposent aux quatre dernières : l’extérieur, le petit, le court, l’anguleux.

L’énumération, à peine commencée, est interrompue par une parenthèse. Socrate vient de dire que le ρ est propre à rendre le mouvement (κίνησις). Là-dessus, il s’arrête, pour expliquer que κίνησις est formé d’un mot étranger, κίειν, et de ἴεσις ; puis il ajoute une remarque sur l’origine et la forme primitive du mot στάσις, tiré par « enjolivement » de ἀ, ἴεσις ; après quoi il revient au ρ (426 c-d). Cette parenthèse est déconcertante à tous égards. Il est singulier que Socrate reprenne ici les procédés qu’il a expressément condamnés : étymologie d’un nom dérivé, sans explication préalable du nom primitif dont il procède ; affirmation que la forme d’un mot a été altérée par le temps, prise à une langue étrangère, ou modifiée par désir d’enjolivement. Le fait est d’autant plus surprenant que la remarque sur κίνησις est introduite à propos du ρ, dont le caractère propre est d’indiquer le mouvement : or, cette lettre est absente de κίνησις. La place donnée à ces considérations n’est pas moins bizarre : s’il est un endroit où on les attendrait, ce n’est certainement pas ici, mais dans la partie « étymologique ». Horn[1] ne juge

  1. O. l., p. 47.