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INTRODUCTION

dit ici : les plaisirs qui viennent à l’âme par le corps, et qui sont les plus vifs et les plus nombreux, ne sont en vérité, pour la plupart, que des cessations de douleurs ; or, cessations de douleurs ou cessations de plaisir ne sont pas des états positifs, ce sont des états neutres, ni proprement plaisants ni proprement douloureux ; comme un homme qui ne ferait jamais que passer de la région moyenne du monde à la plus basse et inversement, sans même soupçonner la région supérieure, s’imaginerait faussement être en haut quand il est au milieu, ainsi l’homme qui s’attache aux sensations violentes prend pour un véritable plaisir ce qui n’est qu’une cessation de douleur, alors que les plaisirs vraiment purs, ceux, par exemple, que donnent les odeurs, sont des états positifs, qui apparaissent et disparaissent sans être précédés ni suivis d’aucune douleur (585 a)[1].

D’ailleurs, tout besoin provient d’un vide, corporel ou spirituel ; on le comble en prenant la nourriture du corps ou de l’esprit ; or, ce qui remplit le mieux est ce qui a le plus de réalité : est-ce donc le corps, ou bien est-ce l’opinion vraie, la science, l’intuition intellectuelle, la vertu ? Le plus réel est assurément ce qui tient de l’essence vraie, immuable, immortelle, ou se produit dans une nature de cette sorte, car essence, science et vérité sont liées. Donc le corps a moins de vérité et moins d’être que l’âme, et ce qui entretient le corps a moins de vérité et moins d’être que ce qui entretient l’âme. Si le plaisir consiste à satisfaire un besoin, à se remplir de ce qui convient à la nature propre, se remplir de réel est un plaisir plus vrai et plus solide. Ceux donc qui ne connaissent ni sagesse ni vertu et ne font que se quereller et se battre pour la satisfaction de leurs désirs bestiaux, se battent, au bout du compte, pour des ombres, comme les Troyens, jadis, pour le fantôme d’Hélène. Si les natures irascibles, qui poursuivent des buts moins vils, d’ambition, d’honneur, savent se plier aux ordres de la science et de la raison, elles cessent alors de presser de simples ombres et leurs plaisirs acquièrent

  1. Cf. Gorgias, 500 a, Phédon, 69 b/c. Nous retrouverons dans le Philèbe, 31 b-55 c, plus développée et plus scientifique, la distinction entre plaisirs impurs ou faux et plaisirs purs ou vrais (exemples de ceux-ci : les belles figures, les beaux sons, les odeurs [cf. Rép. 584 b], les plaisirs intellectuels).