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INTRODUCTION

est déjà bien autrement notable. Le Ménon fonde sa preuve de la réminiscence sur la spontanéité de l’imagination mathématique chez un jeune esclave sans culture, et prend comme exemple l’incommensurabilité de la diagonale par rapport au côté du carré. Il emprunte aux géomètres leur raisonnement hypothétique, et l’illustre par cette méthode de construction plane des aires sur une droite déterminée, qui préludait à la théorie plus savante des sections coniques. Dans le Phédon, c’est à l’aide surtout de notions mathématiques, le grand, le petit, l’égal, que se précise la formule de la théorie des Idées, et c’est encore par une transposition de la méthode hypothétique des géomètres qu’elle assure au besoin ses positions successives et sa certitude fondamentale[1]. La pensée de Platon est donc depuis longtemps familière avec les résultats, les problèmes et les méthodes de la mathématique contemporaine, et, depuis longtemps, les effleure volontiers au passage ou les utilise de façon profonde et délibérée. Mais c’est ici que, préoccupée de donner aux futurs chefs de la cité une éducation supérieure appropriée, elle va définir exactement quels services elle entend demander pour cette fin aux sciences mathématiques, et quelle liberté ou plutôt quelle maîtrise elle revendique à leur égard.

L’histoire de la science grecque avant Platon est loin d’être faite et, pour les mathématiques en particulier, ce sont encore les dialogues mêmes de Platon qui fournissent souvent les plus sûres bases d’inférences. Nous commençons aujourd’hui à nous libérer de la trop facile et trop longue confiance accordée aux panégyristes et aux hagiographes du Pythagorisme primitif et à regarder comme des découvertes de l’époque platonicienne ou de l’époque immédiatement antérieure ce que les dialogues platoniciens célèbrent en fait comme des nouveautés, Philolaos n’est, pour le Phédon, qu’un prêcheur d’observances et d’espérances orphiques, et nous savons aujourd’hui que le fameux traité de la Nature, seul témoignage écrit de l’antique doctrine pythagoricienne et prétendue source du Timée, n’est qu’une fiction littéraire.

  1. Pour les détails sur les dialogues, cf. Rothlauf, p. 19-74. Voir Gorgias, 465 c, Ménon, 83 b-86 c (la diagonale), 87 a et suiv. (la méthode hypothétique), Phédon, 100 e-101 c (les essences), 101 c-102 a (la méthode) ; cf. L. Robin, Notice (éd. 1926, p. li).