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SIXIÈME ENNÉADE.

C’est ainsi que, tandis qu’une assemblée délibérante examine avec calme une question, une foule confuse, poussée par la faim ou excitée par quelque passion, vient répandre dans toute l’assemblée le trouble et le désordre. Tant que de pareilles gens se tiennent tranquilles, la voix de l’homme sage se fait entendre d’eux[1] ; par suite, la foule observe l’ordre dans ses rangs, et la mauvaise partie ne domine pas[2] ; sinon, la mauvaise partie domine, pendant que la bonne reste en silence, parce que le trouble empêche la foule d’entendre la voix de la raison. C’est ainsi que le mal vient à régner dans une cité et dans une assemblée. De même, le mal règne dans celui qui laisse dominer en lui cette foule désordonnée de craintes, de désirs et de passions qu’il porte dans son sein ; et cela durera ainsi jusqu’à ce qu’il réduise cette foule à l’obéissance, qu’il redevienne l’homme qu’il était jadis [avant de descendre ici-bas] et qu’il règle sa vie sur lui[3] : ce qu’il accorde alors au corps, il le lui accorde comme à une chose étrangère[4]. Quant à celui qui vit tantôt d’une manière, tantôt de l’autre, c’est un homme mélangé de bien et de mal[5].

  1. Plotin paraît s’être inspiré ici de deux passages d’Homère, Iliade, III, 149, et Odyssée, XII, 141. Aristote avant notre auteur, dans sa Morale à Nicomaque (II, 9), avait aussi fait allusion aux vers de l’Iliade que nous venons d’indiquer. On peut également rapprocher de ce passage de Plotin ces vers célèbres de Virgile :

    Ac veluti in magno populo quum sæpe coorta est
    Seditio, sævitque animis ignobile vulgus,
    Jamque faces et saxa volant, furor arma ministrat :
    Tum pietate gravem ac mentis si forte virum quem
    Conspexere, silent, arrectisque auribus adstant ;
    Ille regit dictis animos et pectora mulcet.

    Énéide, I, 148-155.

    Ce passage de Plotin a été imité par Proclus, Commentaire du Ier Alcibiade, § 80.

  2. Voy. une comparaison analogue Enn. I, liv. IV, § 15 ; t. I. p. 90.
  3. Voy. Enn. I, liv. II, § 6, et liv. iv, § 4, t. I. p. 59, 77.
  4. Voy. Enn. I, liv. II, § 5 ; t. I, p. 58.
  5. Voy. Enn. I, liv. IV, § 16 ; t. I, p. 90.