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CINQUIÈME ENNÉADE.


D’ailleurs, toute chose qui est une masse ou une grandeur ne saurait occuper le premier rang dans la nature ; il faut regarder comme inférieurs ces objets grossiers que la sensation prend pour des êtres[1]. Dans les semences, ce n’est pas l’élément humide qu’il faut estimer, mais le principe invisible, le nombre et la raison [séminale]. Nous nommons ici nombre et dyade les raisons [idées] et l’Intelligence. La dyade est indéterminée en tant qu’elle joue le rôle de substratum [par rapport à l’Un]. Le nombre qui dérive de la dyade et de l’Un constitue toute espèce d’idée (εἶδος (eidos)), en sorte que l’Intelligence a une forme qui est déterminée par les idées engendrées dans son sein. Elle tient sa forme, en une façon de l’Un, et en une autre façon, d’elle-même, semblable à la vue qui est en acte. La pensée, c’est la vue en acte, et ces deux choses [la faculté et l’acte] n’en font qu’une.

VI. Comment l’Intelligence voit-elle et qui voit-elle ? Comment est-elle sortie et née de l’Un, de manière qu’elle puisse le voir ? Car maintenant l’âme comprend qu’il est nécessaire que ces principes existent. Elle désire résoudre ce problème souvent posé chez les anciens sages : Si l’Un a la nature que nous lui avons assignée, comment tout tient-il de lui sa substance (ὑπόστασιν ἔσχεν (hypostasin eschen))[2], la multitude, la dyade, le nombre ? Pourquoi n’est-il pas resté en lui-même, et a-t-il laissé ainsi découler de lui la multiplicité qu’on

    Voy. aussi dans le même volume Jamblique, De l’Âme, p. 628.

  1. « Si toute puissance n’a ni figure ni couleur (car Platon dit qu’on ne voit ni la forme ni la couleur d’une puissance), évidemment toute puissance est incorporelle en soi. En effet, tout corps, étant limité, participe à la figure. C’est pour cela que Plotin dit avec raison qu’il y a de grosses masses qui ont peu de force, de petites masses qui en ont beaucoup, de sorte que la force ou la faiblesse n’est pas proportionnée à la masse matérielle. » (Proclus, Comm. sur la République, p. 425.) Le passage de Plotin cité ici par Proclus appartient à l’Enn. IV, liv. VII, § 8 ; t. II, p. 455.
  2. Voy. le passage de Victorinus cité dans le tome II, p. 562.