Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/80

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Dans l’après-midi du vendredi 19, MM. Jules Develle et Cauvin, sénateurs, l’un de la Meuse, l’autre de la Somme, me présentent une soixantaine de pauvres gens des régions envahies, qui ont été emmenés otages ou prisonniers en Allemagne et qui viennent d’être brusquement déversés sur la Suisse et de là sur la France. Ils sont maigres, blêmes, dépenaillés. Ils ont été effroyablement alimentés pendant plusieurs mois d’internement. En général, ils ne se plaignent pas de mauvais traitements, mais ils ont été impitoyablement rationnés. Presque partout, on leur a répété : « Président capout, Paris pris, » et la joie qu’ont ces malheureux à retrouver Paris intact et à me revoir devant eux est d’une sincérité touchante. Je cause avec eux. Les Meusiens me donnent de tristes nouvelles de Saint-Mihiel et des communes voisines, Vigneulles, Lamorville, Heudicourt. Une malheureuse femme a quitté, il y a trois ou quatre semaines seulement, certains de nos amis qui sont restés de l’autre côté des lignes et qui sont maintenant séparés de nous par un abîme infranchissable, par exemple Mme Phasmann, veuve de l’excellent maire de Saint-Mihiel, qui a été l’un des meilleurs compagnons de ma vie politique. Mes visiteurs partent, après s’être un peu réconfortés à un buffet modeste, et, lorsque nous les quittons, Mme Poincaré et moi, nous nous sentons si émus que nous remontons en hâte, les yeux en larmes, dans nos appartements privés.

Le même jour, 19 février, nous apprenons que le bombardement des Dardanelles vient de commencer. (Londres, nos 286 et 287.) Les forces alliées devant les détroits sont commandées par l’amiral anglais Carden. L’opération comporte, avant tout, la destruction des forts turcs de l’entrée ; puis, des