Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/82

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Le lundi 22 février, j’ai réuni à déjeuner pour leur permettre de causer un peu ensemble, Joffre, Freycinet, Etienne et Léon Bourgeois. Le général en chef, qui a lu la délibération de la commission sénatoriale de l’armée, s’explique avec une bonhomie tranquille, comme un paysan dont l’habileté native garde un air de candeur. Il se félicite qu’on ait pu envoyer sur le front quarante nouveaux bataillons. « J’accepte bien volontiers, dit-il, que l’on continue. Je le souhaite même, je le demande. Plus on me donnera de troupes, plus j’aurai de moyens d’action. Mais je ne crois pas qu’on puisse former des divisions, ni même des brigades. Il manquerait les cadres supérieurs et les officiers d’état-major. Qu’on crée des régiments, en aussi grand nombre que possible, et qu’on me les envoie. Je les endivisionnerai sur le front, soit en composant des brigades de trois régiments, soit en composant des divisions de cinq. De cette manière, mes corps d’armée, ayant un effectif plus fort, tiendront un front plus étendu et je pourrai, par suite, sur l’ensemble de la ligne, dégager un, deux, trois, quatre nouveaux corps qui grossiront la réserve de quatre corps et demi que je viens déjà de constituer. » Bref, Joffre est maintenant tout à fait converti à l’idée d’une masse de manœuvre.

Il se plaint ensuite qu’on ne transforme pas assez de fusils 1874 en fusils 1884 et qu’on ne fabrique pas directement de fusils nouveau modèle. Il nous dénonce surtout les lenteurs de la production des explosifs et la mauvaise grâce que mettent, dit-il, les Anglais à nous fournir du phénol et du benzol. Il nous donne à entendre qu’il sera bientôt forcé d’arrêter les opérations de Champagne pour ménager les munitions. La ré-