Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/514

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Joie de la vertu, remords du péché, c’est si peu de chose dans les livres de morale, si peu de chose dans notre misérable vie, que les enfants eux-mêmes n’y voient que des fables, et que les philosophes n’en parlent plus que pour l’acquit de leur conscience. Je me suis demandé si ce tressaillement plus ou moins sensible de l’âme qui suit la perpétration du bien et du mal n’avait pas eu quelque grande manifestation dans l’histoire des sociétés : le résultat de mes recherches sur cet intéressant sujet se trouve résumé dans le fragment ci-joint d’un commentaire que j’ai commencé sur les Psaumes.

commentaire sur le psaume xviii.

D’après les anciennes traditions, les premiers qui, à la voix d’initiateurs venus de plus loin ou que l’enthousiasme de la Justice avait saisis spontanément, passèrent de la vie sauvage à l’existence civilisée, éprouvèrent de leur conversion une allégresse extraordinaire, et leur admiration de la loi morale se traduisit par des chants, des légendes, des monuments, que nous avons peine à comprendre aujourd’hui. Non que ces âmes, dans leur barbarie naïve, manquassent de sentiments moraux : elles n’en avaient pas conscience ; elles n’avaient pas appris à les exprimer par des maximes ; elles ne s’en étaient pas fait une loi, un honneur, une religion.

Ce moment de la psychologie des nations, analogue à celui de la formation des langues, de l’invention de l’écriture et des premiers arts, est une des grandes époques de l’humanité. Plus tard le phénomène se reproduit, mais à de longs intervalles et avec une intensité décroissante : aussi est-ce par là que l’histoire des mœurs doit commencer, ce qui en forme le point de départ et en montre de loin, comme un phare élevé dans la nuit des consciences, la sanction. Des poésies, des hymnes, des mythes, jaillirent, en même temps que les premières cités, de cette commotion puissante, dont les chantres devinrent avec le temps si vénérables et si célèbres. Nous n’avons rien de Linus, de Musée, d’Amphion, des