Page:Rabelais ou imitateur - Le Disciple de Pantagruel, éd. Lacroix 1875.djvu/36

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ung cinquante lieues de là, en la Basse Bretaigne (car c’est de là que viennent les bonnes langues et disertes), lequel parloit septante et deux langues, auquel je donnay si bons gaiges qu’il se tint pour content. Luy venu, je feis lever les voilles et appareil de ma naif, pour transfreter et naviger à toute diligence. Si eusmes le vent à gré, lequel vint incontinent donner à la pouppe de nostre naif, de sorte qu’en moins de troys heures nous feismes plus de trente lieues en content tout, et vinsmes aborder en une isle d’environ cinquante lieues de long et trente de large, en laquelle avoit une moult belle forest, pleine de plus beaulx chesnes que l’on eust peu veoir, les plus chargez de glandz que je veisse jamais ; au moyen dequoy nous pensions bien que ce fust terre ferme, et pource que les aultres forestz du pays d’environ avoient esté toutes gelées et peries.

Les habitans d’environ icelle mer avoyent esté advertizde la fertilité et abundance du gland qui estoit en la dicte forest ; parquoy ilz avoient faict mener et passer tous leurs porcz pour engresser, non advertiz ny expers de la perte et dommage qui leur advint par inadvertence : car icelle forest n’estoit aultre chose qu’une baleine grande et merveilleuse, sur le dos de laquelle avoit creu la dicte forest ; parquoy une grande veille truye et un grand verrard, ayant les gueulles eschauffées à cause du gland, se mirent à fouyr et à foiller aux racines des feuscheres