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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

dans les nations plus avancées, l’objet de la science est une meilleure distribution des richesses. » Political Economy, vol. II, p. 319. Voilà de profondes paroles qui devraient servir de préface à l’économie politique moderne !

Nous disions qu’il y a trop de travailleurs pour la répartition qui est faite de leurs produits ; il y a donc trop de population dans nos vieux pays conservateurs de vieilles civilisations. À ce propos, longtemps nous avons cru, contrairement à la loi de Malthus, que la production des subsistances pouvait croître plus vite que la population, c’est-à-dire que si deux produisent pour deux, trois travaillant en harmonie pouvaient, avec la division du travail, produire pour trois et pour un en sus. — Nous le croyons encore, mais comme vérité théorique seulement, et d’une application erronée tant que nos sociétés suivront leurs errements actuels, basés sur la protection du travail national, la tutelle gouvernementale, la fameuse balance du commerce, et autres sophismes dont les plus gros ont acquis force d’axiome : « L’intérêt du vendeur est contraire à celui de l’acheteur. — Les affaires, c’est l’argent des autres. — Les nations doivent vendre énormément et acheter aussi peu que rien. — Un homme est d’autant plus riche que ses voisins sont plus pauvres. » — Dans son remarquable article sur les grèves, M. le professeur Baseley raconte avoir entendu un jeune Curate catéchisant ainsi sa congrégation rustique sur le texte de l’Évangile : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous. » — « Admirez, s’écriait-il, la sagesse de la Providence ! Elle prend soin de ne pas laisser le pays manquer de pauvres ; car si nous n’avions pas de misérables, qui, je vous le demande, prendrait la peine de labourer ? Et nous ne pourrions plus manger de pain ! »


Bien plus, des formules dites scientifiques ne résoudront pas un problème compliqué de passions.

L’intérêt n’est pas tout, quoiqu’il soit bien puissant et que certains le proclament le seul motif des actions humaines. Au dire de M. Dunning, toutes les institutions des nations civilisées pivotent sur le fameux 5 % d’intérêt ; 10 % attireront le capital n’importe où ; 20 % produiront zèle, ferveur, sollicitude ; 50 % inspireront hardiesse et vaillance ; 100 % un homme foulera toutes les lois humaines et divines, mais à 300 % il n’est, dit-il, pas de crime qu’on ne commette, de risque qu’on ne veuille encourir, même celui d’être pendu ou écartelé ! — N’en déplaise à M. Dunning, il est une chose plus forte encore que la soif du lucre, c’est la soif de la domination à laquelle, le cas échéant, on sacrifierait mille fois son intérêt. L’esprit d’orgueil et d’ambition a fait des martyrs comme en fait le dévouement ; on a vu des hommes se jeter pour leur caste dans la perdition, sacrifier leur fortune et les intérêts de leur famille. Et le semblable engendrant le semblable, qu’y a-t-il d’étonnant à ce que l’esprit de domination ait amené par réaction l’esprit de révolte,