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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

1844 — l’histoire se souviendra de cette date — la vente fut ouverte. Les membres qui s’étaient engagé à tenir le comptoir osaient à peine se montrer, tant ils craignaient les quolibets des épiciers et des gamins ; ils se glissèrent donc au crépuscule jusqu’à leur boutique, en rasant les murailles du côté le plus obscur de la rue. Ce début était peu brillant ; le résultat des premières ventes fut même si décourageant, que, n’osant plus braver le ridicule qui les poursuivait, plusieurs des fondateurs se retirèrent ; mais, à la longue, quelques recrues de bonne volonté se présentèrent çà et là, de vrais enfants perdus. En mars 1846, l’Association risqua la vente de quelques paquets de tabac et de thé. — À cette occasion, un membre entreprenant affirma qu’il procurerait à la Société, comptant et en une fois, la somme de trois francs, non qu’il possédât lui-même l’écu en question, mais, sous sa garantie personnelle, il se portait fort de trouver le bailleur de fonds.

M. Holyoake a remarqué, dans les règlements primitifs de la Société, un catalogue d’amendes exorbitantes dans leur genre. La valeur financière alors attachée au concours des directeurs ou des administrateurs, peut être induite du fait que l’absence de ces fonctionnaires était punie par une amende de douze sous. Il est évident que la Société n’aurait cru encourir qu’une perte totale de trois francs, si les cinq administrateurs avaient tous ensemble pris la clef des champs. Quoi qu’il en soit, ils prouvèrent valoir bien davantage que le trop modeste prix auquel ils avaient eux-mêmes évalué leurs services. À force de persévérance, de courage et d’industrie, l’entreprise se maintenait, le bilan de 1845 démontra un capital social de 4 525 fr, un nombre de 80 associés, une vente mensuelle de 3 000 fr., un chiffre d’affaires de 17 750 fr, et un bénéfice de 4 ½ % environ.

En 1840, vente au détail de la viande.

En 1847, le bilan portait 7 150 fr. de capital social, une vente de près de 900 fr. par semaine et un nombre de 140 actionnaires. Fiers de leurs succès, les fondateurs se réunirent dans un banquet commémoratif à un franc par tête, pour célébrer l’anniversaire de la mémorable ouverture de leur magasin.

1848 fut pour les Pionniers, comme pour tant de leurs confrères d’Europe, une année de douloureuse épreuve. Plus de banquets, rien qu’une simple soirée dont quelques tasses de thé firent tous les frais. Les temps étaient bien durs ; l’Association était assaillie à la fois par les crises politique, monétaire et industrielle, et, chose plus grave encore, elle était travaillée par les piétistes qui voulaient interdire aux sociétaires de se réunir le dimanche, et de discuter certaines questions ; bref, on voulait faire renoncer les Pionniers à leur liberté de conscience en échange de quelques dogmes méthodistes, baptistes, pédo-baptistes ou pseudo-baptistes. Les débuts menaçaient de s’envenimer, et la