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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE

bles ouvriers qui jusque-là n’avaient jamais su s’ils introduisaient du poison dans leur bouche avec leurs aliments, ces pauvres gens dont chaque dîner avait été sophistiqué, dont les souliers prenaient eau un mois trop tôt, et dont les femmes portaient du calicot mauvais teint, achètent au meilleur marché tout comme des millionnaires et jouissent d’une nourriture pour le moins aussi saine que celle des grands seigneurs.

» L’ivrognerie a disparu avec l’apparition du bien-être. Des maris jadis endettés jusqu’aux oreilles, des femmes qui n’avaient jamais possédé dix sous en propre, achètent des logements confortables et se rendent dans une boutique où, pour leur argent comptant, ou ne leur sert ni compliments, ni flatteries, ni procédés mielleux ; il est vrai qu’on n’y trouve ni tromperie, ni sophistication, ni vente à prix fort ou à prix doux. Chez ces épiciers nouveau système, on respire une atmosphère d’honnêteté, on peut envoyer des enfants à la boutique, sans avoir besoin de les endoctriner au préalable pour qu’ils ne se fassent servir que par un certain homme aux cheveux noirs et aux favoris gris, auquel ils devront recommander de ne donner que du meilleur beurre. Au magasin des Coopérateurs tous les commis, qu’ils aient ou non des cheveux noirs et des favoris gris, ne servent à l’enfant que du bon beurre ; et cela par une excellente raison, c’est qu’ils n’en tiennent pas de mauvais.

» Et les directeurs de cette entreprise si importante et si riche d’avenir, sont aussi modestes et sans prétention qu’ils l’étaient il y a treize ans ; l’étranger les voit en casquette et en jaquette de flanelle ; ces braves gens ne répondent pas à l’attente de grandiose extérieur et physique qu’on se fait involontairement d’hommes qui ont accompli de si grandes choses ! »


Fidèles à leur programme primitif, les sociétaires n’ont pas voulu empocher leur dividende purement et simplement, mais ils en ont réservé une partie pour des buts d’intérêt général. Après le payement des intérêts de capital, ils prélèvent 2 ½ % sur le bénéfice à titre de subvention aux œuvres d’enseignement mutuel, écoles, et collections d’instruments scientifiques. Une bibliothèque qui reçoit une allocation annuelle d’environ 8 000 fr., renferme aujourd’hui 4 700 ouvrages, dont plusieurs sont de grand prix ; fréquemment un mouvement de 400 volumes s’effectue par semaine entre le bibliothécaire et les sociétaires. Ces derniers jouissent en outre d’un salon de lecture, abonné, pour une somme considérable, à divers journaux et revues. Les Coopérateurs apportent aussi leur contribution aux hôpitaux de Rochdale, à des asiles de sourds-muets ; ils ont fait don à la ville d’une fontaine, etc. Nous lisons aujourd’hui que, pour venir en aide à la misère engendrée par la disette du coton, ils ont établi à leurs frais des fourneaux écono-