Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/193

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trésor d’observations sur les mœurs du temps, et dont les moindres détails, toujours précis, vivants, saisissants, évoquent cette vieille société de Kyôto, à l’aube du xie siècle, avec une sincérité telle qu’un Français, ayant étudié le Ghennji, porte désormais en son cerveau une image aussi nette de la cour d’Itchijo que de celle de Louis XIV.

Le Ghennji Monogatari comprend 54 chapitres, qui, dans l’édition Koghetsoushô, représentent 4234 pages. Cette édition consacre 80 pages à la seule énumération généalogique des personnages, empereurs, princes, hauts fonctionnaires et la suite, qui s’entremêlent dans le récit. L’ouvrage se compose de deux parties, d’importance et de longueur inégales. La première (chapitres 1 à 44) nous conte toute la vie du prince Ghennji, c’est-à-dire la série de ses aventures amoureuses. La seconde (chapitres 45 à 54) concerne un fils putatif de Ghennji, le prince Kaorou ; c’est ce qu’on appelle « les dix chapitres d’Ouji », la scène se passant alors, non loin de Kyôto d’ailleurs, dans le village de ce nom. Il faudrait un volume pour analyser cette œuvre complexe où, sur un fond d’exquises descriptions empruntées à tout ce que la nature, la vie sociale et l’existence de la cour pouvaient offrir de plus charmant à une romancière poėte, nous voyons se détacher en pleine lumière, autour de la physionomie centrale d’un don Juan peu moral, mais plein de tendres délicatesses, un groupe très varié de figures féminines dont la psychologie se révèle à travers mille incidents. Voici seulement, à grands traits, la ligne direttrice qui permettra au lecteur de se retrouver dans les extraits qui vont suivre.

Ghennji est le fils d’un empereur et d’une favorite, Kiri-tsoubo no Koï, « la Concubine de la Chambre des paulownias ». Cette dernière, qui est fille d’un premier vice-ministre, mais qui n’appartient pas au clan des Foujiwara, est bientôt persécutée de mille façons, malgré son extrême douceur ; par la jalousie de ses compagnes. Ces coups d’épingle finissent par la tuer : elle tombe malade et meurt, alors que son enfant était âgé de trois ans à peine. Le jeune prince, que l’empereur désolé a pris sous sa protection, au Palais même, grandit en beauté et en distinction ; si bleh que son entourage l’appelle Hikarou Għennji no Kimi, « le Brillant prihce Ghendji ». Lorsqu’il atteint douge ans, l’empereur fait célébrer son ghemmboukou[1] avec une magnificence particulière et, à cette occasion, le marie avec Aoï no Oué, la fille d’un de ses ministres. Mais Ghennji n’aimait pas cette femme, un peu plus âgée que lui et qu’il n’avait pas choisie, tandis que, depuis quelque temps déjà, il avait tourné

  1. Cérémonie consistant à raser les cheveux de devant d’un jeune garçon, pour indiquer qu’il passait à l’âge adulte. D’ordinaire, elle avait lieu à quinze ans.