Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/195

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juger l’ouvrage sur quelques faits brièvement rapportés. Mouragaki Shikibou, fille, épouse et mère sans tache, a voulu, dans le domaine littéraire, nous faire un tableau exact de son temps ; elle n’a donc pas caché le caractère général des mœurs qu’elle voyait autour d’elle. Il n’en est pas moins vrai que, par la finesse de son esprit comme par la décence de son style, elle a su décrire les plus étranges situations avec une délicatesse toute féminine ; si bien que dans ses pages, comme le dit fort justement M. Aston[1], « on trouverait malaisément une phrase destinée à amener une rougeur sur la joue d’une jeune fille ».

KIRI-TSOUBO[2]

Je ne me rappelle plus en quel temps, parmi les nombreuses nyôgo et kôï[3] du Palais, il y en avait une qui, bien que n’étant pas née d’une famille noble, était aimée du mikado plus que toute autre. Les diverses femmes qui s’étaient présentées (à la cour) dans la pensée qu’elles seraient préférées s’accordaient toutes à la jalouser. Celles d’entre les kôi qui lui étaient inférieures ne se montraient pas plus satisfaites ; et, profitant de chaque occasion pendant leur service du matin et du soir, elles disaient sans cesse des choses destinées à émouvoir contre elle le cœur des hommes. Peut-être par l’effet de ces jalousies accumulées, elle tomba malade, et son état empira ; de sorte qu’elle était souvent obligée de passer les jours chez elle, le cœur épuisé… L’empereur, cepen-

  1. Hist. of Jap. Lit., p. 98.
  2. La page qui suit est le début du roman. — Suivant un usage déjà inauguré dans l’Outsoubo Monogatari (ci-dessus, p. 164, n. 1), tous les chapitre du Ghennji ont un titre particulier, souvent assez pittoresque, et emprunté d’ordinaire soit au nom d’un personnage du roman ou d’un lieu où se passe la scène, soit à quelque événement de la vie de cour, soit à une des poésies enchâssées dans le texte. Par exemple, le chap. 1er est intitulé Kiri-tsoubo (nom de la favorite impériale), et le chap. V, Waka-Mouraçaki (« la Jeune Violette », Mouraçaki no Oué) ; le chap. XII, Souma, et le chap. XIII, Akashi (endroits où Ghennji fut exilé) ; le chap. VIII, Hana no Enn (« le Festin [à l’occasion] des fleurs »), et le chap XVII, E-awacé (« le Concours de peintures », un des salons annuels de l’époque) ; le chap. II, Hahaki-ghi (« l’Arbre-balai », cet arbre intervenant dans une poésie à la fin du chapitre), etc.
  3. Les kồi, dont Kiri-soubo faisait partie, étaient des concubines impériales naturellement très honorées, mais néanmoins d’un rang inférieur à celui des nyógo.