Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/207

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gle très fort au luth, aurait voulu l’entendre ; mais comme ce dernier avait une demeure si extraordinaire, il lui envoya dire par un messager : « Pourquoi restez-vous en cet endroit ? Venez demeurer à la capitale ! » L’aveugle, en entendant cela, ne donna point de réponse, mais dit :

En ce monde,
De n’importe quelle façon
On peut passer la vie,
Puisqu’au palais comme à la chaumière,
Il n’y a pas de fin[1] !

Le messager lui ayant rapporté la chose, Hiromaça, en l’apprenant, se sentit de l’estime pour cet aveugle, et il pensa dans son cœur : « Comme j’aime beaucoup cet art, j’aurais été bien heureux de le voir. Mais je ne sais s’il vivra encore longtemps, et ma vie aussi est incertaine. Dans la musique pour le luth, il y a deux airs, la « Fontaine qui coule » et les « Coups contre l’arbre[2]», qui doivent disparaître de ce monde, car, seul, cet aveugle les connaît. Je voudrais bien l’entendre jouer ces airs. » Pensant ainsi, il alla un soir à la Barrière d’Ohçaka ; mais Sémimarou ne joua pas ces airs Ensuite, pendant l’espace de trois ans, chaque nuit, il se rendait auprès de la hutte de l’aveugle d’Ohçaka ; et il écoutait debout, secrètement, dans l’attente de ces airs ; mais l’aveugle ne les jouait pas.

Dans la nuit du quinzième jour du huitième mois de la troisième année, la lune était un peu obscurcie par les nuages et le vent soufflait doucement. Hiromaça se dit « Ah ! qu’il fait beau, ce soir ! C’est sûrement cette nuit que l’aveugle d’Ohçaka jouera les airs de la « Fontaine qui coule » et des « Coups contre l’arbre » ! Il partit pour Ohçaka, et il écouta. L’aveugle, en pinçant son luth, semblait rêver à la mélancolie des choses. Hiromaça, heureux, l’écoutait. Alors l’aveugle, plein d’enthousiasme, se mit à chanter :


  1. À nos désirs. — Waraya, a hutte de paille », donc chaumière.
  2. Ryoucenn et Takoubokou. (Le pivert s’appelle takoubokoutcho.)