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ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE JAPONAISE

il composa son Hôjôki, en 1212, et où il mourut peu après, en 1216, dans sa soixante-dixième année.

Le Hôjôki, ou « Livre d’une hutte de dix pieds de côté[1] », est un petit essai où notre ermite exprime, avec autant de profondeur délicate que de simplicité littéraire, les sentiments intimes de son cœur. Après le Makoura no Sôshi, et en attendant le Tsouré-zouré-gouça[2], il constitue le second des trois meilleurs livres d’impressions que nous ait laissés la littérature japonaise. Mais, à la différence de Sei Shônagon et de Kennkô, Kamo Tchômei ne se contente pas de noter, à la fortune du pinceau, des observations ou des pensées disparates : il veut philosopher, écrire d’une manière suivie des réflexions qui se tiennent, et son charmant écrit, si dénué de toute prétention, n’en devient pas moins un exposé magistral de la sagesse pessimiste. L’ouvrage, au demeurant, parlera par lui-même, car je vais le donner en entier[3].


HÔJÔKI

Le courant d’une rivière s’écoule sans s’arrêter, mais l’eau n’est pas la même ; l’écume qui flotte dans les remous tantôt disparaît, tantôt renaît, mais ne dure jamais longtemps[4]. Tels sont, en cette vie, les hommes et leurs demeures.

Dans la capitale pavée de joyaux[5], les maisons des grands et des humbles, joignant les charpentes de leurs toits et rivalisant de leurs tuiles, semblent se maintenir de génération en génération ; mais quand on examine

  1. , carré ; , mesure de longueur équivalant à 10 shakou (pieds de 0m,303) ; ki, notes, relation, livre. Hôjô, « carré de dix pieds de côté », l'espace réglementaire que la tradition bouddhique (ci-dessous, p. 265, n. 4) imposait à une cellule de bonze, et par extension, la cellule même.
  2. Voir plus bas, p. 275.
  3. D'autant plus qu’en dehors même de son intérêt psychologique individuel, il nous dépeint à merveille l’état d'âme bouddhique en général et qu’il nous donnera, par surcroît, une série d’excellents tableaux des calamités qui sont un des côtés caractéristiques de la vie japonaise (l'incendie, le typhon, le tremblement de terre, etc.).
  4. Ces comparaisons, qui rappellent la philosophie d’Héraclite, se retrouvent aussi dans le Ronngo (Analectes de Confucius) et dans l’ancienne poésie japonaise (voir ci-dessus, p. 145, n. 4).
  5. Tama-shiki no, un mot-oreiller hyperbolique de miyako, la « capitale ».