Page:Rouquette - La Thébaïde en Amérique, 1852.djvu/90

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d’exemples de ce double amour de la solitude et des mortifications ; et ces exemples, nous les avons choisis parmi des milliers que nous avons dû omettre comme moins importants.

« Mais, hélas ! qu’est devenu ce don des larmes ? Il s’est presque perdu dans l’Église avec le don des miracles, parce que personne ne veut plus en donner le prix, qui consiste à se priver de toutes les satisfactions humaines, et qu’on ne peut, dit Saint-Jérôme, jouir tout ensemble, et des consolations intérieures, et des délices extérieures  » (La Chétardie, homélie sur la Madeleine.)

Dans le monde, on taxe la gravité de spleen, et le silence de tristesse et de sauvagerie ; on y est traité de malade et de misanthrope, parce que l’on ne plaisante pas des choses sérieuses, et que l’on ne s’occupe pas sérieusement des bagatelles et des riens ; parce que l’on ne peut condescendre à oublier sa dignité d’homme et de chrétien jusqu’à participer, par des éclats de rire, à toutes les bouffonneries du Charivari. Et cependant, l’Écriture sainte bien comprise, les Saints-Pères, toutes les Règles monastiques proscrivent le rire, et surtout le rire bruyant et immodéré ; ils proscrivent l’esprit d’épigramme, de plaisanterie et de joie bouffonne : car c’est là la part de la vanité ; c’est là l’esprit du monde, esprit extérieur et dissipé, esprit frivole et prétentieux, esprit si contraire à l’esprit de recueillement et de componction. Non, les Saints n’ont pas été des plaisants et des rieurs ; ils ont été graves, recueillis, absorbés dans la pensée de Dieu et de l’éternité ; la profondeur et la sérénité du ciel étaient réfléchies sur leur visage calme, austère et lumineux ; il y avait quelque chose de divin dans l’expression de leur regard si doux et mélancolique : jamais donc l’on ne pourra nous persuader que la joie et le rire habituels soient des signes de sagesse et de sainteté : C’est pourquoi Bossuet nous dit :

« Dans les affaires du monde, le plus sage est toujours celui que la joie emporte le moins. Écoutez la belle sentence que prononce l’Ecclésiastique : « le fou, dit-il, indiscret, inconsidéré, fait sans cesse éclater son rire ; et le sage à peine rit’il doucement : « Fatuus in risu exaltat vocem suam : vir autem sapiens vix tacite ridebit. » (Eccl. 21, 23.) Le sage, au contraire, toujours attentif aux misères et aux vanités de la vie humaine, ne se persuade jamais qu’il puisse avoir trouvé sur la terre, en ce lieu de mort, aucun véritable sujet de se réjouir. C’est pourquoi il rit en tremblant, comme disait l’Ecclésiastique, c’est-à-dire, qu’il supprime lui-même sa joie indiscrète par une certaine hauteur d’une âme qui désavoue sa faiblesse, et qui, sentant qu’elle est née pour des biens, célestes, a honte de se voir si fort transportée par des choses si méprisables. »

« Celui qui n’a jamais veillé dans les pleurs, dit Goethe, qui n’a jamais trempé son lit de larmes, celui-là ne vous connaît pas, ô puissances célectes ! »

 
La souffrance est céleste, et dans les jours anciens
Nul trépied n’eut des feux plus sacrés que les siens.
Si Job est éprouvé, sa force se confirme ;
Satan est terrassé par le bras de l’infirme…
Laisse tous ses trésors à la sainte douleur ;
Le crime est ici-bas notre unique malheur.

(Alex. Soumet.)

« Suivez avec moi les pas du Sauveur, depuis la crèche jusqu’à la croix sur laquelle il meurt : que signifie ce nuage de tristesse qui couvre perpétuellement sa face sacrée ? Les peuples de Galilée l’ont vu pleurer ; la famille de Lazare l’a vu pleurer ; ses disciples l’ont vu pleurer ; Jérusalem l’a vu inondé de larmes ; tous, tous ont vu des larmes dans ses yeux : Qui a vu le rire sur ses lèvres ? » (Extrait d’une lettre de M. Donoso-Cortès à M. de Montalemenbert.)

Qui ne comprend, d’après cela, que le chrétien s’écrie avec amour, en serrant la croix tout arrosée de larmes et de sang :