Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/190

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à un espace de six à huit pieds sur neuf à dix de hauteur, donner chaque année un gros fagot de bourgeons & de branches & pas un seul fruit. Pour le mettre à fruit, lui supprimer deux grosses racines, le mutiler, &c., & le tout très-inutilement ; tandis que si on avoit arraché ses deux voisins, si on avoit étendu ses branches sans les rogner, si dans cette position on les avoit laissé pousser à volonté, elles auroient donné du fruit dès la seconde année.

Si on se promène dans un jardin, on voit une disproportion révoltante entre l’arbre sur coignassier & sur franc. Celui-ci présente un tronc fort & bien nourri, ses branches, grandes, vigoureuses, ses feuilles d’un vert foncé, enfin tout l’arbre respire la santé & la vie. À côté est le poirier greffé sur coignassier, dont le tronc couvert d’écailles raboteuses annonce la foiblesse, ses branches sont tortueuses, ses bourgeons maigres & fluets ; il est si chargé de boutons à fruit, qu’à peine il a la force de produire des boutons à bois ; presque toujours la greffe fait bourrelet, (voyez ce mot), ses feuilles sont jaunes, pâles, languissantes, rougissent à la première gelée blanche & tombent, tandis qu’il faut un froid bien décidé pour que celles sur franc éprouvent le même sort. Tout dans le premier annonce la vigueur & la force, & tout dans le second est l’image de la foiblesse & de la misère. Cette bigarrure d’arbres, sur franc & sur coignassier est révoltante dans un jardin où la véritable beauté des arbres consiste à présenter à l’œil la même force dans les arbres, la même activité de végétation, la même hauteur & la même forme. Cette égalité ne peut plus se trouver lorsque la vie d’un arbre est beaucoup plus courte que celle d’un autre, & lorsque la même vigueur, la même activité ne se trouvent plus dans l’un comme dans l’autre.

On objectera encore que dans les terrains maigres, pierreux, graveleux, l’arbre greffé sur coignassier réussit mieux que sur franc, donc celui-ci réussira mieux dans les sols forts, tenaces & même un peu humides. Voilà déjà à peu près la moitié des espèces de terrain gagnée en faveur de l’arbre sur franc.

Quant au terrain supposé pierreux, maigre, &c. (il s’agit ici d’un jardin & non d’un arbre livré à lui-même en plein champ), je dis & j’avance que le franc & le coignassier y réussiront tous deux également, chacun dans leur genre & en admettant toute circonstance égale. Chaque jour j’en ai la preuve sous les yeux ; mais j’ajoute que si on plante un poirier sur franc avec son pivot, il réussit beaucoup mieux que le poirier sur coignassier, planté même avec son pivot. Comment concevoir que le premier étant par lui-même fort & vigoureux (avec ou sans pivot), & le second étant naturellement foible (avec ou sans pivot), ce dernier puisse mériter la préférence ? Cela n’est pas croyable & est contraire à l’expérience de tous les jours & de tous les lieux. Si l’arbre se nourrissoit uniquement par ses racines (consultez l’article amendement & le dernier chapitre du mot agriculture), on pourroit admettre cette supposition, parce que les arbres plantés si près suivant la coutume ordinaire, s’affament les uns & les autres ; & il faut moins de nourriture à celui