Cours d’agriculture (Rozier)/BOURRELET

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 416-422).


BOURRELET, Botanique. C’est une excroissance que l’on remarque sur certaines parties des arbres, sur-tout aux greffes & aux boutures, & sur les bords des plaies faites aux arbres ; elles se referment & sont recouvertes peu à peu par le bourrelet. Dans l’arbre comme dans l’homme, il n’y a point de régénération, sinon de l’écorce, & dans celui-ci de la peau. Le muscle emporté, détruit, &c. ne se régénère pas ; la peau seule s’étend, les bords se rapprochent, & la cicatrice se forme. Le bois entaillé, coupé, mutilé, ne végète plus ; l’écorce seule recouvre la plaie : c’est pourquoi on trouve souvent dans un tronc d’arbre, très-sain d’ailleurs, des parties de bois desséchées & ensevelies sous le bourrelet. Cette production singulière de la végétation mérite toute l’attention d’un cultivateur ; elle lui découvre une grande vérité, l’existence d’une séve descendante, & lui offre en même-tems un procédé sûr & infaillible de réussir dans ses boutures. Rien n’est inutile dans le travail de la nature ; souvent plus elle paroît s’écarter des routes ordinaires qu’elle suit, & plus son opération est admirable. Ici, au premier aspect, on ne voit qu’une difformité, qu’une monstruosité, qu’un écart ; mais observons cette nouvelle production dans son principe, sa formation, son développement, son utilité, & nous cesserons bientôt d’accuser la nature.

Nous pouvons considérer le bourrelet sous trois états différens, ou comme cicatrisant & réparant les plaies des arbres, ou comme donnant naissance à de nouvelles racines à l’extrémité des boutures, ou enfin comme servant de base aux greffes.

I. Du bourrelet des plaies des arbres & des ligatures. L’arbre, comme l’on sait, a toute sa superficie recouverte par l’écorce qui défend le bois proprement dit, & fournit à son accroissement. L’écorce (Voyez ce mot) est composée de plusieurs couches qui s’enveloppent les unes les autres, & qui toutes sont recouvertes par une peau très-fine, l’épiderme. Si on enlève cet épiderme & une partie de l’écorce, la plaie se refermera promptement, & sa trace sera presque totalement effacée. Si la plaie A (Figure 6, Planche 8, page 255) est profonde, qu’un fragment de l’écorce entière soit enlevé, & en un mot, qu’elle pénètre jusqu’au bois qui reste ainsi à découvert, en suivant attentivement les progressions de la marche de la nature, l’on voit sortir des couches les plus intérieures de l’écorce, ou plutôt d’entre l’écorce & le bois, une production charnue, verdâtre, assez molle d’abord, & presque herbacée, qui prend à l’air de la solidité. Ce bourrelet paroît d’abord à la partie supérieure de la plaie B, ensuite sur les côtés, & enfin au bas de la plaie C ; mais il y demeure toujours plus petit qu’à la partie supérieure. Insensiblement ce bourrelet augmente, il acquiert de l’étendue & de la surface, & il finit par recouvrir tout le bois, sans cependant s’unir & adhérer avec lui. L’écorce, ou le bourrelet, est donc le seul moyen dont la nature se sert pour cicatriser une plaie ; le bois n’y entre pour rien. Exposé à l’air, il se dessèche, il se durcit, & l’aubier devient un vrai bois. (Voyez Aubier) Il n’en est pas de même si l’on recouvre la plaie, & qu’on la défende du contact de l’air, le bois lui-même concourt à cette réproduction. M. Bonnet de Genève, cet illustre savant, s’en est assuré en recouvrant une plaie faite à un arbre, avec un tuyau de cristal. Il vit d’abord à travers ce cristal sortir du haut de la plaie un bourrelet calleux, qui parut ensuite sur les côtés & à la partie inférieure. Peu après il observa çà & là, sur la surface du bois, de petits mamelons gélatineux & isolés, qui paroissoient naître des interstices des fibres de l’aubier, qui étoient demeurées attachées au bois. En divers endroits de la surface du bois, se remarquoient de petites taches rousses qu’il étoit facile de reconnoître pour des membranes ou des couches naissantes. Elles s’épaississent par degré ; des productions grenues, blanchâtres, demi-transparentes & gélatineuses soulèvent les feuillets membraneux : cette matière gélatineuse devient grisâtre, puis verte ; & toutes ces productions, en se prolongeant du haut en bas, recouvrent la plaie & forment la cicatrice.

Si l’incision, au lieu d’être perpendiculaire, est horizontale, c’est à-dire, si l’on enlève un anneau entier d’écorce, la cicatrice se forme différemment ; le bourrelet naît, à l’ordinaire, à la partie supérieure de la plaie, mais jamais à la partie inférieure.

Pour produire ce bourrelet, il n’est pas nécessaire de faire une incision ; il suffit seulement de pratiquer une ligature & de serrer fortement la tige d’un jeune arbre avec cinq ou six révolutions d’une ficelle ou d’un fil de fer : on voit bientôt se former un bourrelet au-dessus de la ligature. (Voyez Pl. ibid. ABC) Les racines sont susceptibles de produire des bourrelets, comme on le voit en B. Enfin les branches même renversées, y sont sujettes, & la production paroît toujours au-dessus de la ligature, du côté des feuilles, comme en C, quoique dans cette situation renversée elle semble être au-dessous.

Pour peu que l’on se soit promené dans les bois & dans les taillis où il croît beaucoup de chèvre-feuille, on a sans doute remarqué très-souvent que cet arbuste cherchant un point d’appui sur les branches voisines, s’entortille autour d’elles en forme de spirale. L’arbre, ou la branche qui lui sert de soutien, venant à croître & à acquérir de la grosseur, les spirales du chèvrefeuille ne s’écartent & ne cèdent pas en proportion ; au contraire, elles semblent se resserrer plus étroitement. Alors il se forme un bourrelet en spirale qui devient de plus en plus considérable, au point quelquefois qu’il recouvre presqu’entiérement le chèvre-feuille qui l’a formé. J’ai vu des cannes ou bâtons dont les spirales produites par de pareils bourrelets, étoient très-régulières, & faisoient au moins sept ou huit révolutions. L’on remarquera encore que le bourrelet occupe toujours la partie supérieure.

Quelle peut être la cause de cette singulière production, & quelle est sa formation ? Pénétrons dans son intérieur, & nous y lirons le secret de la nature. Si l’on coupe horizontalement un bourrelet provenu sur une plaie faite à un arbre, on verra toutes les fibres corticales (Fig. 8.) s’approcher mutuellement les unes des autres, en formant une espèce de volute AA. La convexité de cette volute appuie sur le bois sans y adhérer, & ne forme point corps avec lui. Si le bois se trouve carié ou gâté dans cet endroit, la plaie ne se ferme point ; il s’y forme une gouttière dans le genre de celles que les jardiniers appellent œil de bœuf. Si la section se fait perpendiculairement, on apperçoit dans l’épaisseur plusieurs mamelons ligneux A B C D E F (Fig. 9.) qui tendent du centre, c’est-à-dire, du faisceau des fibres ligneuses qui composent le bois. Ces mamelons se propagent à travers la substance du bourrelet, qui est bien différente de celle du bois, non-seulement pour la couleur, mais encore pour la solidité & la direction des fibres corticales & ligneuses qui la forment. Quand le bourrelet naît à la partie supérieure de la plaie ou de la ligature, les volutes des fibres se roulent de haut en bas ; quand il est placé perpendiculairement, les volutes sont horizontales, inclinées cependant de manière qu’elles paroissent toujours naître de la partie la plus élevée. Le bourrelet est-il informe & n’offre-t-il rien d’exact & d’uniforme à l’extérieur ? son anatomie fera facilement appercevoir qu’il s’est formé un étranglement, une obstruction qui a fait refluer les sucs, la séve, la matière ligneuse dans la direction constante de haut en bas.

Cette direction annonce clairement quelle est la cause qui l’a produite. La séve (Voyez ce mot) ne circule pas comme le sang : elle est double ; & des expériences certaines apprennent qu’il y a deux séves ; l’une ascendante, qui s’élève des racines aux feuilles ; & l’autre descendante, qui coule des feuilles aux racines. La séve descendante est la seule qui agisse dans cette occasion. Quand elle descend des feuilles, à travers les fibres ligneuses & corticales, pour aller nourrir les racines, vient-elle à rencontrer tout d’un coup une interruption sur sa route, occasionnée, ou par le retranchement de ses canaux ordinaires, ou par un étranglement d’une autre ligature, alors elle se dépose, & reflue sur elle-même à la fin de sa course, apportant sans cesse de nouveaux principes & de la substance nutritive ; elle engorge les vésicules, les distend, développe toutes les fibrilles, leur fait acquérir de l’étendue, & par ses dépôts successifs, empêche leur rapprochement. (Voy. le § III du mot Accroissement, tom. I, pag. 228). Comme ces fibres sont liées à leur extrémité par un gluten naturel, leur développement se fait par une espèce de roulement, de volute, de repliement qui leur fait prendre la forme que l’on voit Figure 8. Les lèvres du bourrelet prenant de l’étendue, viennent enfin à se joindre, & produisent la cicatrice de la plaie. Quand c’est une simple ligature, le bourrelet, à la longue, vient à bout de couvrir presqu’entiérement le lien qui l’a occasionné.

Rien ne prouve mieux que c’est à la séve descendante qu’il faut attribuer les bourrelets, que l’expérience imaginée par M. Duhamel. Il recourba les branches des jeunes ormes, de façon que leur extrémité chargée de feuilles pendoit vers la terre, & que le tronc principal de ces branches étoit à peu près parallèle à la tige qui les portoit. (Fig. 7) Il retint ces branches dans cette situation renversée, en les liant à la tige menue, & ensuite il fit des incisions & des ligatures C à l’écorce de ces branches. Leur situation renversée n’occasionna aucun changement à la formation du bourrelet ; & il étoit tel qu’il auroit été si les branches étoient restées dans leur situation naturelle : le gros bourrelet étoit toujours du côté de l’extrémité des branches. En effet, la séve aérienne ou descendante, entrant par les feuilles E, & descendant le long de la tige, rencontre la ligature ou l’incision C, & ne pouvant passer outre, elle produit nécessairement le bourrelet I supérieur, quoiqu’il paroisse inférieur.

II. Des bourrelets formés au-dessous des greffes. Lorsqu’on a greffé un arbre, par exemple, un pêcher, un pommier, il arrive presque toujours qu’à mesure que la nouvelle branche prend de l’accroissement, il se forme un bourrelet sensible à l’endroit de la greffe, qui grossit d’année en année, au point souvent qu’il devient énorme, épuise l’arbre, & lui procure des maladies qui le conduisent à la mort. Les arbres fruitiers y sont très-sujets : dès les trois ou quatre premières années il grossit considérablement, tandis que la tige reste à peu près dans le même état. Au bout d’une dizaine d’années, ce bourrelet, dont les progrès ont été si sensibles, & qui est devenu comme une couronne autour de la tige, commence à se fendre, la peau s’écaille, il se forme des gouttières, une humeur roussâtre suinte de tous côtés, l’arbre dépérit, les branches latérales meurent les unes après les autres, les perpendiculaires au tronc subsistent seules, l’arbre se couronne, les extrémités des branches s’altèrent & se dégarnissent ; les fleurs & les fruits deviennent rares & aqueux, ils mûrissent difficilement ; enfin l’arbre meurt avant d’avoir fourni sa carrière ordinaire.

Ce que nous avons dit plus haut suffit pour expliquer la formation de ces bourrelets, & ce dérangement de la nature. Les tiges, les feuilles que poussent la greffe, fournissent la séve descendante, qui doit aller nourrir les racines ; mais rencontrant un défaut de continuité, un vide à l’endroit même de la greffe, elle s’arrête & produit bientôt un bourrelet. Comme la tige de la greffe est tendre & délicate, les fibres s’étendent & se dilatent facilement ; aussi, le bourrelet croît-il promptement les premières années. L’arbre se fortifiant, toutes les parties deviennent plus dures & plus compactes. Mais l’affluence de la séve continuant toujours, il faut qu’à la fin l’épiderme & l’écorce éclatent & se fendillent. Ces ouvertures sont autant d’orifices que la séve s’approprie, & par laquelle elle s’extravase. L’humidité perpétuelle dont ces parties ligneuses sont continuellement abreuvées, les variations & les intempéries de l’air, font fermenter la séve déposée dans ces canaux, ces gouttières, elle s’y corrompt, & par son âcreté, elle attaque & corrode tout ce qu’elle touche. M. l’abbé Schabol attribue la formation de ces bourrelets à quatre autres causes, qui effectivement y concourent. 1o. Une greffe qui dans une pépinière, a été appliquée sur un sauvageon trop fluet ou vicieux ; la séve, suivant lui, se portant plus facilement dans la greffe où elle trouve plus de jeu & de tendance à se prêter à toute sorte d’extension, que dans une mauvaise tige où elle n’éprouve que de la roideur & un serrement universel dans toutes ses parties. 2o. Les branches perpendiculaires à la tige ; car on remarque en général que les arbres qui en ont beaucoup, ont le bourrelet de la greffe du double au moins plus gros que le tronc. 3o. Le retranchement des gourmands, qui sont les entrepôts & les magasins de la séve : lorsqu’elle en est privée, elle se porte vers la greffe & elle se décharge horizontalement à l’endroit de la suture qui s’est faite entre elle & le sauvageon. 4o. Enfin, le pincement & la suppression des extrémités des bourgeons durant la pousse, qui troublent le cours de la séve, l’arrêtent & l’obligent de refluer vers la greffe.

On peut empêcher que ces bourrelets ne deviennent préjudiciables aux arbres, mais il n’est pas possible de les faire disparoître. Voici les moyens que M. Schabol indique pour arrêter leur accroissement : il consiste à scarifier au printems l’écorce de la tige, depuis le tronc jusqu’à ce bourrelet, d’abord par derrière l’arbre ; l’année suivante, on réitère cette opération sur un des côtés, à la troisième sur l’autre, & à la quatrième par devant. Cette incision n’est utile qu’à l’égard des arbres dont l’écorce est lisse, unie & dénuée de nœuds. Au reste, on ne la répète qu’à proportion des progrès de la tige. Il est certain que si la séve descendante vient ainsi à rencontrer des issues, elle ne formera plus le dépôt qui donne naissance aux bourrelets ; mais n’est-il pas aussi à craindre que ces incisions ne deviennent à la longue autant de gouttières ? alors le remède seroit pire que le mal.

III. Des avantages que l’on peut retirer des bourrelets. La nature ne fait jamais rien en vain, & si nous ne voyons pas toujours le terme où elle tend, c’est notre faute & non pas la sienne. Les fibres qui composent les branches & les racines, sont absolument indifférentes à produire des branches ou des racines. (Voyez Branche, Racine). On le remarque principalement dans les mamelons qui percent à travers les bourrelets & qui deviennent à volonté des branches chargées de feuilles ou des racines traçantes, suivant les circonstances. Si on étête un arbre, & qu’on ait soin de le dépouiller de tous ses rejetons, on verra sortir d’entre le bois & l’écorce, un gros bourrelet qui donnera naissance à de petits bourgeons. De même, si l’on coupe une des principales racines de cet arbre & qu’on recouvre de terre le chicot, il se formera pareillement entre le bois & l’écorce un bourrelet, d’où sortiront de petites racines. Mais si le chicot n’est point recouvert de terre, & qu’il soit à l’air, le bourrelet produira des bourgeons. Ces vérités sont démontrées par les expériences faites par MM. Duhamel & Bonnet de Genève : le hasard m’a servi encore mieux, & a confirmé absolument ce que ces savans avoient vu. En me promenant dans une lisière de forêt dont on abattoit quelques arbres en les déracinant, j’ai trouvé un arbre à moitié déraciné, & je ne sais quelle raison l’avoit fait abandonner depuis environ un an. Une racine de huit à dix pouces de diamètre avoit été coupée, & un éboulement avoit rapporté de la terre contre elle, de façon qu’il y en avoit à peu près cinq pouces d’enterrés. Ainsi, sa moitié environ étoit à l’air, tandis que l’autre étoit recouverte de terre. Du bourrelet supérieur D, (Fig. 7) partoient trois bourgeons assez vigoureux. Je fus d’abord surpris de voir une racine chargée de branches, mais me rappelant bientôt ce que j’avois lu dans M. Duhamel, je fus curieux de voir si le bourrelet inférieur F avoit repoussé des racines ; je le déterrai & j’en trouvai deux, avec chacune une bifurcation. Le même tronçon de racine produisoit donc en même tems & des bourgeons & des racines. Au mot Branche, nous verrons le même phénomène végétal.

Dans la Fig. 9, les mamelons A B C D E F, sont autant de germes, de racines ou de bourgeons, suivant la position du bourrelet dans l’air, ou dans la terre.

Cette vérité bien démontrée, conduit nécessairement à conclure que lorsqu’on voudra planter des boutures, on y réussira plus aisément lorsqu’on aura fait pousser des racines à un bourrelet artificiel qu’on pourra produire à volonté, si l’on arrache de terre une bouture qui ait déjà poussé des racines ; en l’examinant attentivement on verra que ces racines sont des productions du bourrelet qui s’est formé entre le bois & l’écorce. Les boutures de saule, de peuplier, de sureau, qui reprennent si facilement, sont toujours garnies, dès la première année, d’assez gros bourrelets, d’où partent plusieurs racines. Celles des arbres qui reprennent avec peine, sont plus longues à former ce bourrelet ; mais au bout de deux ou trois ans, il devient assez fort pour donner naissance à quelques racines. Avant que de couper la bouture de l’arbre, si l’on formoit artificiellement un bourrelet, on devanceroit le travail de la nature, & la reprise en seroit plus assurée. (Voyez Bouture) M. M.