Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/572

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leur nourriture : toute l’opération est purement mécanique.

Non, il n’existe point de séve, de sucs particuliers pour telle ou telle racine. Dans le laboratoire de la terre, dans son intérieur où se prépare en grand la séve, la nature n’a qu’une manière d’opérer & de rassembler les différens matériaux qui la constituent, & de son immense travail il ne résulte qu’une seule & même séve. (Consultez le mot Amandement) Cette séve est plus ou moins riche, plus ou moins abondante en principes, suivant l’abondance & la qualité des matériaux qu’elle combine ; de là la prospérité des récoltes. Si la partie saline domine trop, (consultez le mot Marne) comme dans l’expérience de Milord Manner) rapportée au mot Arrosement, page 10 du second Volume ; si dans ce cas les pluies ne sont pas abondantes, la séve sera corrosive, & contribuera elle-même à la destruction de la plante ; si au contraire on enterre au pied d’un arbre un bœuf mort, les racines trouveront dans sa décomposition trop de substances huileuses, graisseuses, &c. sur-tout une trop grande quantité d’air fixe, (consultez ce mot) & l’arbre en souffrira & même périra, comme cela arrive souvent, parce que la séve est trop surchargée de substances huileuses, non suffisamment combinées avec la partie saline qui auroit, au moyen de la fermentation, réduit la masse totale à l’état savonneux. Dans cet état, l’eau qui est la base de la séve, n’en dissout que la quantité qu’elle peut en dissoudre ; & de cette juste proportion dérive la beauté de la végétation. Voilà pourquoi trop d’engrais animal suffoque un arbre, & trop d’engrais salins racornissent les conduits de la séve, les corrodent, & l’arbre souffre ou meurt. C’est donc dans les justes proportions de la séve qui est unique, & dans l’intime combinaison de ses principes, que les racines trouvent les sucs qu’elles doivent transmettre à l’arbre.

Seroit-il naturel de dire que, dans une caisse, par exemple, oh l’on auroit semé pêle-mêle & fort épais, du froment, des graines de choux, de raves, de pieds d’alouette, des pois, des fèves, de la ciguë, de l’aconit, &c., &c., la terre dont cette caisse est remplie, contînt autant de sucs ou nature de séve particulière y qu’elle a d’espèces de plantes à nourrir ? Bientôt cette caisse sera remplie de racines de toute espèce, & au point que telle racine ne pourra pas se détourner afin d’aller chercher le suc qui lui est propre, & rejeter celui qui lui déplaît. Ce seroit attribuer aux racines des propriétés qu’elles n’ont point, & compliquer inutilement la marche de la nature ; autrement il faudroit que cette terre contînt des sucs empoisonnés pour alimenter l’aconit & la ciguë, des sucs doux & farineux pour le froment, les pois, &c., &c. Or, jamais aucune expérience quelconque n’a démontré ni ne démontrera ces principes si opposés les uns aux autres. La marche de la nature est plus simple, la séve est, comme on l’a déjà dit, une, mais plus ou moins chargée de principes suivant les circonstances. Cette séve, en s’insinuant à l’extrémité des racines capillaires, qui forment autant de bouches & de suçoirs, qu’il y a