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Section II.

De la meilleure qualité des eaux pour rouir, & apperçu d’autres moyens.

Il en est des écorces végétales comme des membranes ou peaux des animaux,[1] elles se durcissent dans l’eau bouillante, & s’amollissent dans l’eau froide. Le chanvre mis en décoction est très-mal roui : mais quel est le degré de l’eau froide qui lui convient le mieux ? ce n’est pas sans doute la plus froide, puisqu’on voit que le rouissage est plutôt fini en été qu’en automne. J’ai fait plusieurs essais dont les résultats sont, que la température de l’eau la plus avantageuse est celle de dix à douze degrés du thermomètre de Réaumur. Ce qui se rapproche, comme on le voit, du degré nécessaire à la fermentation des vins en automne ; & en effet, toute fermentation devient désordonnée ou tumultueuse, lorsqu’elle s’écarte trop de ces degrés de chaleur.

L’eau en mouvement vaut-elle mieux que l’eau stagnante ? la question a encore été décidée en faveur de la dernière. Ayant mis du chanvre dans le même ruisseau, partie dans l’eau tranquille, & partie au dessous d’une usine, à la chute de l’eau, le premier a été plutôt roui, & le second étoit plus dur. L’on savoit que les grands mouvemens nuisoient aux fermentations, & le rouissage en est une. On a vu dans les expériences de la société d’agriculture de Bretagne, rapportées au mot chanvre, que le chanvre, à quelque degré de maturité qu’il soit, étant roui en eau courante, devenoit plus blanc qu’en eau dormante, mais que l’eau dormante avoit fourni une quantité plus grande de premiers brins, & qui se blanchissoient mieux par les lessives.

Nous dirons cependant que toutes les eaux dormantes ne sont pas favorables ; les unes peuvent être troubles & douces ; d’autres peuvent être limpides & très-dures. Les eaux douces peuvent contenir de la craie, des infusions de végétaux détruits : telles sont les mares ou les fosses à fumier ; là le chanvre y rouit parfaitement ; ces eaux contiennent un levain qui accélère la fermentation. Les eaux dures tiennent quelques sels vitrioliques en dissolution, comme la sélénite, alors le rouissage y languit. C’est sans doute pour n’avoir pas assez reconnu ces causes, que MM. du Hamel & Marcandier n’ont pas eu les mêmes résultats dans leurs expériences sur le rouissage à l’eau courante & à l’eau dormante. Les eaux dures augmentent le poids de la filasse, de trois, de cinq pour cent de plus que l’eau courante. Elles agissent comme l’alun sur la filasse ; elles sont préférées pour les toiles & fils que l’on met en teinture ; mais comme ces eaux leur donnent un mordant qui retient la partie colorante des infusions ou dissolutions qui les troublent lorsqu’on y rouit, les filasses, ainsi teintes ou salies, blanchissent plus difficilement.

L’eau de la mer, l’eau des marais salés & salans, les bords des lacs & des étangs, les lieux bas des plagies marines, sont encore employés très convenablement aux rouissages.. En

  1. Voyez les Dissertations de MM. Maret & Marteau, sur les bains des eaux douces & de mer.