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Dons les cantons très-élevés de Suisse, presque la totalité des maisons est faite de ce bois, mais il n’a pas l’avantage, comme le melèze (consultez ce mot) de laisser transsuder sa résine, & de boucher ainsi jusqu’aux plus légers interstices. Dans la vallée de Grindelwald & sur les montagnes voisines, le sapin y devient presque incorruptible, ou du moins il y dure beaucoup plus longtemps que dans les pays plus bas & moins froids. Cette observation se rapporte à ce qu’on lit dans la relation des voyages de quelques matelots Russes qui ont été abandonnés pendant plusieurs années sur une côte inhabitée du Spitsberg, & qui y trouvèrent une ancienne cabane construite très-long-temps auparavant par d’autres malheureux, dont le bois se trouva aussi sain que s’il sortoit de dessus le chantier. Quelle peut être la cause physique de la durée de ce bois dans de pareilles circonstances ? Je vais en hasarder plusieurs qui, si elles sont confirmées par l’expérience, serviront peut-être un jour à établir une bonne théorie sur la conservation de ce bois précieux.

Il est possible que l’alternative de l’humidité & du dessèchement, si pernicieuse pour les bois exposés au injures de l’air, se fasse plus rarement sentir dans des pays comme le voisinage des glacières de Suisse, comme le Spitsberg où il gèle sans interruption une grande partie de l’année ; & c’est par la même raison que les arbres des pays très-froids périssent quelquefois par le froid dans nos climats tempérés. Ce sont les faux dégels qui les font périr ; & ces faux dégels ne sont connus ni en Canada, ni en Sibérie, ni peut-être dans les Hautes-Alpes. Outre cela la chaleur attire à l’extérieur la résine renfermée dans chaque pore de l’arbre, & si elle est très abondante, comme je l’ai vu une fois, elle se rend à l’extérieur, se sèche, devient pulvérulente & se dissipe. Dès-lors le bois n’est plus nourri & entretenu par elle, ses pores sont vides, très-ouverts, & l’humidité vient occuper la place de la résine. L’humidité renfermée dans le bois est le premier principe de sa destruction. On se convaincra facilement de ce fait si on passe une ou plusieurs couches de vernis ou de peinture à l’huile, sur une poutre, sur une boiserie qui n’a pas encore transsudé son humidité. La pourriture ne se manifeste à l’extérieur qu’à la longue ; à cette époque l’intérieur est réduit en poussière.

Les pilotis des fameuses digues de Hollande, sont en bois de sapin, mais comme ces pilotis sont toujours imbibés d’eau, & comme ils n’éprouvent pas l’alternative du sec & de l’humide, ils se conservent très-long-temps.

Les matelots Russes, dont j’ai déja parlé, observèrent que le froid faisoit mourir tous les insectes, au point que ces matelots, gens très-mal-propres, furent délivrés, pendant leur séjour dans le Spitzberg, de la vermine dont ils étoient couverts ; ce qui ne leur étoit jamais arrivé que dans ce temps-là. Ne pourroit-on pas conclure de cet exemple, que les insectes microscopiques qui font la moisissure des plantes & des bois, ne peuvent pas subsister dans les froids longs & rigoureux de Grindewald, & que