Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/156

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merveilleux et chaque nervure fine était pour moi une beauté contemplée avec envie.

Quand Aristote passait, elle me disait :

— Voilà la brute que tu aurais voulu être, il y a quelque temps, quand, sans ailes, tu avais la folie des ailes !

Je ne répondais rien. Mais je l’avais plus que jamais, la folie des ailes. Plus que jamais, j’aurais voulu devenir un de ces pauvres êtres à la vie misérable, jouets de toutes les ouvrières et qui bientôt mourraient de faim ou sous nos coups, mais qui mourraient sans doute dans une extase, ivres de baisers.

Les femelles me paraissaient moins belles, trop grandes et trop grosses. Leur tête n’avait pas la finesse ténue de la tête du mâle. Leur thorax était plus massif et surtout leur abdomen. Mais elles avaient aussi des ailes et bientôt, dans l’azur, elles rendraient les baisers reçus. Cette pensée m’émouvait. Je restais des heures à rôder autour de ces êtres lourds dans le souterrain, mais dont le vol sans doute serait beau comme un rêve.

Il y en avait une particulièrement dont les proportions me paraissaient presque nobles, dont les yeux étaient plus étincelants, les ocelles plus limpides, les ailes d’une gaze plus frémissante. Je vivais presque toujours auprès d’elle. Je la nourrissais des mets les plus délicats, je la protégeais contre les grossièretés des ouvrières.