Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

X

Entre toutes les heures tristes, je vais dire les plus tristes que je connaisse. On vient d’obtenir d’un être aimé et aimant tout ce qu’il peut vous donner. Les deux ont essayé par les moyens les plus puissants — par la parole et par le silence, par le baiser et par le regard, s’ils sont hommes — de s’unir, de se pénétrer mutuellement, de s’amalgamer, de n’être plus qu’un. Ils ont goûté d’abord des joies intenses, des voluptés apparemment sans limites. Mais ces ambitieux ont voulu aller plus loin, toujours plus loin dans le bonheur ; et voici qu’ils ont dépassé la région du bonheur.

Ils ne pleurent point comme dans une peine vulgaire. Leurs yeux de damnés sont secs et brûlés. Ils sourient et ils proclament qu’ils jouissent de toute la joie. Mais ils savent bien qu’ils sont dans l’enfer pire, dans l’enfer supérieur qui fait aux paradis leur couronne de lumière et d’où l’on ne saurait redescendre. Et, dans le noyau douloureux de ce soleil dont les rayons un peu plus loin font de la joie, ils songent :