Aller au contenu

Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Oui, disent les deux âmes misérables, nos lèvres peuvent longtemps, longtemps, n’être qu’un baiser. Mais la seconde viendra, nécessaire, où elles se sépareront. — Nos mains peuvent rester unies des heures peut-être. Mais la fatigue ou l’urgence d’un geste banal pour la vie les disjoindra enfin. — Nous pouvons répéter les mots d’amour et, quoiqu’on leur ait fait dire tant de banalités et de superficies, nous les trouvons doux quelque temps. Mais une vague plus haute de la tempête d’amour nous élèvera trop au-dessus de l’exprimable et nous nous irriterons contre, l’impuissance des mots. — Nous regardons dans nos yeux le reflet de nos pensées. Nous sentons qu’elles marchent d’un même pas sur le même chemin. Mais voici que les yeux de l’un de nous, d’un battement de paupières on d’une fuite du regard, se sont dérobés. Nous étions à un carrefour du songe. Maintenant chacun va de son côté.égaré, perdu, et nous mentons, nous le savons, en affirmant notre accord et que notre marche continue, inséparable. — Ah ! tous nos efforts pour nous unifier viennent se heurter, blessés, au mur métaphysique qui fait que deux êtres sont deux ; que deux consciences, comme deux atomes, sont l’une à l’autre impénétrables. Ah ! la distance est toujours aussi infinie, puisque inépuisable, que nous soyons à mille lieues et que nous soyons ennemies, ou que nos chairs et nos êtres croient se pénétrer d’amour : le même point