Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/86

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paralysant. On tira d’abord les antennes du fourreau, on les allongea, on les fit jouer. On soigna de même les palpes. Puis on délia les pattes et, l’une après l’autre, on les étendit, on les posa d’aplomb sur le sol. Enfin on dégagea, avec ces mouvements de triomphe qui accompagnent la fin heureuse de tout labeur difficile, la tête, le thorax, le pétiole, l’abdomen. Et d’un pas chancelant, comme ivre, la ressuscitée marcha.

Une ouvrière lui donna une goutte tirée de son jabot. L’enfant avala avec délices.

Cependant Aristote courait à une case voisine, rapportait un grain de blé, bien à point, tout sucre et sirop, le posait devant la fourmi nouvelle et, décomposant les mouvements comme dans une leçon, se mettait à lécher. L’élève regardait sans voir, dans une stupeur mal réveillée. Aristote avec douceur écarta les mandibules de la jeune fourmi, réussit à lui faire tirer la langue, à la lui faire passer sur le régal exquis. Et, avec des mines gauches et heureuses, l’enfant lécha. Un faux mouvement fit rouler son grain hors de sa portée ; elle continua, stupide, à lécher le vide devant elle. Mais Aristote ramena vivement le repas sous la langue maladroite.

Nous nous éloignâmes. Aristote, sur ma demande, expliqua l’avenir de l’ouvrière que je venais de voir naître. Dans une dizaine de jours, rien ne la distinguerait de l’une de nous. Elle irait joyeuse